C’est officiel : depuis le 18 juin 2025, le Sénat a voté à l’unanimité l’intégration explicite du « non-consentement de la victime » dans la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.
Après l’Assemblée nationale début avril, la chambre haute adopte à son tour une approche qui fait primer la question du oui — ou plutôt son absence — sur la démonstration de violence physique. La Commission mixte paritaire qui se réunira dans les prochains jours aura pour tâche d’harmoniser les derniers détails, mais la portée symbolique et pratique du texte est déjà colossale.
Ce que change la nouvelle définition
- Un principe simple : « tout acte sexuel non consenti » est un viol. Le texte précise qu’il ne peut y avoir consentement que s’il est « libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable ».
- Un renversement de la charge symbolique de la preuve. Les magistrats ne rechercheront plus d’abord la violence ou la contrainte ; ils vérifieront l’existence – ou non – d’un accord explicite.
- Une protection élargie des situations “grises”. Viol conjugal, sidération, alcoolisation involontaire : autant de contextes où l’absence d’opposition physique ne pourra plus être interprétée comme un « oui » tacite.
Pour la juriste Carole Hardouin-Le Goff, qui plaidait dès 2024 pour ce basculement, « la loi gagne enfin en cohérence pédagogique : le viol n’est pas lié à la force, il est lié à l’absence de volonté ».
Les conséquences pratiques pour la chaîne pénale
Enquête et audition. Les gendarmes et policiers devront être formés à repérer les signes de dissociation ou de sidération — ces états neurobiologiques où la victime se fige, documentés par la psychiatre Muriel Salmona. Le mutisme ou l’absence de gestes de défense ne pourront plus être assimilés à un consentement.
Instruction et procès. Les expertises psychotraumatiques gagneront en importance ; elles permettront de démontrer l’impossibilité, pour certaines victimes, d’exprimer un refus clair au moment des faits. La plaidoirie basculera d’une bataille sur la violence à une analyse de l’intentionnalité réciproque de l’acte sexuel.
Politique publique. Sans financement pour les unités médico-judiciaires, les centres d’accueil et la formation continue des magistrats, la réforme risque de rester un signal plus qu’un outil. D’où la demande, portée par plusieurs sénatrices, d’un fonds interministériel dédié.
Un éclairage psycho-comportemental : pourquoi le “non” est parfois impossible
Les neurosciences ont montré que face à un danger extrême, notre cerveau peut déclencher une réponse de freezing : la victime se fige, son système nerveux autonome choisit la survie plutôt que la fuite. Dans ces instants, la parole se bloque, le corps se dissocie. Reconnaître juridiquement cette réalité neuro-psychologique, c’est cesser de demander aux survivantes de « prouver » qu’elles se sont débattues. Parallèlement, les sciences sociales insistent sur le consentement comme processus : il peut évoluer, être retiré, se fragmenter. La mention « révocable » dans la loi entérine cette idée : un oui initial n’autorise pas tout, tout le temps.
Points de friction et prochaines étapes
- Mineurs et majeurs protégés. L’Assemblée souhaite une présomption irréfragable de non-consentement pour les moins de 15 ans ; le Sénat hésite entre seuil d’âge et « critère de maturité ». Un compromis est attendu en commission mixte.
- Preuve du consentement. Les avocats de la défense redoutent une « insécurité juridique ». Les magistrats rappellent que la présomption d’innocence subsiste : c’est à l’accusation de démontrer le caractère non consenti, mais l’absence de violence ne suffira plus à disculper.
- Application rétroactive ? Non. Comme toute loi pénale plus sévère, la nouvelle définition ne s’appliquera qu’aux faits commis après son entrée en vigueur, afin de respecter le principe de non-rétroactivité pénale.
Comment la France se compare à l’Europe
• Suède (2018) : le modèle « seul un oui est un oui ».
• Belgique (2021) : réforme du Code pénal sexuel, présomption de consentement retirée.
• Espagne (2022) : ley “solo sí es sí”, centrée sur le consentement positif.
• France (2025) : enfin en phase avec la Convention d’Istanbul et l’avant-projet de directive européenne sur les violences sexuelles.
En inscrivant noir sur blanc que « sans oui, c’est non », le Parlement français trace une ligne claire entre sexualité et violence — une ligne qui, espérons-le, trouvera bientôt un écho dans les tribunaux, les commissariats et, surtout, dans la culture populaire. Car une loi n’est jamais qu’un outil ; c’est l’usage qu’une société en fait qui détermine sa portée réelle.
