Dans son nouveau roman récompensé par le Prix Goncourt 2022 intitulé Vivre vite, Brigitte Giraud nous raconte une histoire bouleversante. Celle de la disparition de son mari peu après l’achat de leur maison, et de sa longue période de deuil au cours de laquelle elle a cherché à comprendre. Un récit qui nous fait réfléchir sur la question du destin.
Faire une dernière fois le tour du propriétaire pour peut-être, enfin, tourner la page. Un projet d’urbanisme la contraint à vendre la maison achetée avec son mari en 1999. Cette maison choisie, aménagée, habitée pendant vingt ans, est au cœur du drame qu’elle revit ici dans les moindres détails.
Brigitte et Claude se sont rencontrés dans les années 80. Expulsés d’un appartement en centre-ville de Lyon, les deux amoureux s’achètent un canut dans le quartier de la Croix-rousse grâce au petit héritage d’un grand-père suicidé. Dix ans plus tard, parents d’un petit garçon, le couple envisage de déménager vers un logement plus grand. C’est Brigitte qui prend en charge les recherches. Très vite, elle découvre la petite maison de ses rêves. Mais le propriétaire ne souhaite pas vendre. Déçue, elle se replie sur un grand appartement de son quartier. Pourtant, le destin est parfois capricieux. Une fois l’appartement acheté, Brigitte reçoit un message du propriétaire de la petite maison qui se résout finalement à lui vendre le bien de ses rêves.
Si Brigitte n’avait pas tout mis en œuvre pour revendre l’appartement et aussitôt signer l’acte de vente de cette maison, son mari serait-il toujours en vie? C’est la première occurrence d’une litanie de « si » à laquelle l’auteur se soumet pour rembobiner le fil de ce drame, trouver des liens, donner un sens.
Le 22 juin 1999, alors que Brigitte est chez son éditeur à Paris, Claude a un accident de moto dans le centre de Lyon.
Si elle n’avait pas acheté cette maison, si elle n’avait pas dit à sa mère qu’elle aurait les clés dès le 18 juin, si son frère n’avait pas eu besoin d’un lieu pour garer sa moto avant de partir en vacances, si elle avait accepté que son fils accompagne son oncle, si elle n’avait pas changé la date de son rendez-vous parisien, s’il avait plu ce 22 juin, si Stephen King avait succombé à son accident le 19 juin, si…, si…, si…
Il est effrayant de constater comment les événements mineurs survenus quelques temps avant le drame ont tissé une toile suffisamment serrée pour conduire inexorablement au drame.
Après le déni des premiers instants, vingt ans après, c’est le moment de l’acceptation. Il n’y a pas de si. Chacun a joué son rôle et il ne pouvait en être autrement.
« Cela fait vingt ans et je dois me résoudre à rendre les armes. Quitter la maison c’est aussi te laisser filer. »
Mais avant cela, ce roman est un témoignage d’amour à Claude, ce musicien, motard à la fine silhouette. Immigré d’Algérie à l’âge de quatre ans, cet homme lunaire et séduisant ne connaissait pas le stress. Responsable de la discothèque municipale et pigiste pour des revues musicales, il prenait aussi du temps pour aller chercher son fils deux fois par semaine à la sortie de l’école.
Brigitte Giraud commençait à écrire avec un succès certain et prometteur. Pourquoi cette moto Honda 900 CBR Fireblade, une moto interdite au Japon mais vendue en France comme une routière est-elle venue percuter leur bonheur naissant ? Pourtant, l’auteur ne cherche pas à attribuer la faute à qui que ce soit si ce n’est à elle-même. Elle, qui aurait pu appeler depuis Paris le soir avant le drame pour dire à Claude qu’il était inutile de passer prendre Théo à l’école ce 22 juin.
Au cours de ce fil du passé déroulé à l’aune des « si », l’auteur évoque aussi les petits détails de la vie. Elle dessine les contours d’une époque, sans les portables qui permettaient de prévenir ses proches rapidement avec un sms. L’époque où les pères s’immisçaient davantage dans les foyers comme l’espéraient et le redoutaient tout à la fois les femmes. L’époque où Bernard Lenoir faisait la promotion des nouveaux vinyles de rock indépendant. Une époque où Brigitte et Claude auraient pu être heureux avec leur fils Théo. Mais il est impossible de changer le destin.
Brigitte Giraud vient de recevoir le Prix Goncourt pour son roman Vivre vite. Ce prix salue une autrice sincère, un texte poignant mais pudique, un hommage à l’homme aimé disparu brutalement.
Vivre vite de Brigitte Giraud paru le 24 août 2022 chez Flammarion, 208 pages, Prix : 20 €, ISBN : 9782080207340
À propos de l’auteur :
Brigitte Giraud est née en Algérie et vit à Lyon. En 1997, elle publie son premier roman, La chambre des parents. Elle est remarquée par le jury du Prix Wepler pour A présent (Stock, 2001), un roman où elle évoquait rapidement la mort de son mari. Elle obtient le Prix Goncourt de la nouvelle pour L’amour est très surestimé (Stock, 2007), le Prix du jury Giono pour Une année étrangère (Stock, 2009). Elle est l’auteure de dix romans dont, récemment, Un loup pour l’homme et Jour de courage (Flammarion 2017 et 2019).
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