Le vrac est-il un mode de consommation viable ?

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Ma Joyeuse épicière. Un nouveau nom a récemment recouvert la devanture du 40 rue d’Antrain à Rennes. Bérangère de Clerck, la gérante de l’ancienne boutique nommée Mamie Mesure, a choisi de devenir indépendante à la suite de la liquidation judiciaire du réseau en mars 2023. Que la clientèle ne s’affole pas : il n’y aura de nouveau que le nom dans la boutique dédiée au vrac. C’est l’occasion pour Unidivers de revenir sur l’essor du vrac en France et de questionner sa viabilité en indépendant dans un contexte où les aspirations éco-responsables se confrontent à la réalité du pouvoir d’achat.

Vous est-il déjà arrivé de vous baigner et de vous rendre compte que ce que vous pensez être une méduse était en fait… un sac en plastique transparent ? C’est un fait, les emballages plastiques sont omniprésents dans nos vies et dans la nature depuis leur commercialisation dans les années 50, entraînant avec eux la disparition du vrac au profit du format préemballé. Avec une production mondiale de plastique qui s’élevait à 370 millions de tonnes en 2019, la modernisation d’antan est devenu le problème d’aujourd’hui.

De plus en plus consciente de l’impact de ces déchets qui laissent derrière eux des microparticules de plastique partout où ils passent, la population française commence à changer sa manière de consommer pour une forme plus responsable, écologique, en un mot : vertueuse. Des grandes surfaces aux épiceries spécialisées, le vrac a gagné du terrain dans les foyers dès les années 80 avec l’apparition de rayons dédiés dans les magasins bio. Mais c’est l’accroissement du mouvement zéro déchet et la création en 2016 de Réseau VRAC, association interprofessionnelle pour le développement de la vente en vrac, qui marque un véritable tournant. Selon Réseau VRAC, l’Hexagone comptait 920 boutiques spécialisées en 2022, contre seulement deux en 2013.

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Ma Joyeuse épicière, 40 rue d’Antrain, Rennes

Les bocaux remplacent à nouveau les emballages sur les étagères de la cuisine, les contenants réutilisables et produits solides évincent les tubes à usage unique dans la salle de bain. Des boutiques franchisées comme Day by Day ont fleuri en France, ainsi que des boutiques indépendantes, plus rares. « Dans les franchises, une personne du réseau s’occupe des commandes auprès des fournisseurs et les franchisés achètent ensuite en interne, dans des centrales d’achat. Ça permet d’avoir des prix préférentiels, mais le métier d’épicier pour moi, c’est aussi faire le lien entre les producteurs et les consommateurs », déclare Bérangère de Clerck, devenue une des rares indépendantes à Rennes – avec Ti Grains et Au Grand Air – après être passée par la concession de marque avec le réseau Mamie Mesure. Contrairement aux franchises, ce dispositif laissait notamment plus de liberté dans le choix des fournisseurs.

La commercialisation des produits en vrac attire aussi de plus en plus les grandes marques et la grande distribution, sinon par valeurs du moins par obligation légale. « La Loi Anti-Gaspillage pour une économie circulaire, ou loi AGEC, oblige toute surface de vente au-delà de 400 m2 à vendre du vrac », nous apprend l’épicière. Promulguée et publiée au Journal officiel le 24 août 2021, la loi Climat et Résilience est née de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) et s’inscrit dans la continuité de la loi AGEC.

Le chapitre III de cette loi s’intitule « Accélérer le développement de la vente en vrac et de la consigne du verre ». Il y est stipulé qu’« Au 1er janvier 2030, les commerces de vente au détail dont la superficie est supérieure ou égale à 400m carrée consacrent à la vente de produits présentés sans emballage primaire, y compris la vente en vrac, soit au moins 20 % de leur surface de vente de produits de grande consommation, soit un dispositif d’effet équivalent exprimé en nombre de références ou en proportion du chiffres d’affaires. » Il y est aussi proposé une expérimentation dans les commerces de moins de 400 m2 pendant une durée de 3 ans, à une date encore indéfinie. « Afin d’accélérer ce développement, [cette expérimentation] doit notamment identifier les contraintes techniques, financières ou réglementaires, notamment celles empêchant la vente en vrac de certains produits de consommation » : huile d’olive, lait pasteurisé, etc.

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Ma Joyeuse épicière, 40 rue d’Antrain, Rennes

Avec cette mise en place, la France est parmi les pays les plus avancés en matière d’initiatives gouvernementales dans le secteur du vrac. La sensibilité des Français à l’éco-anxiété ambiante laisserait penser que cette nouvelle forme de distribution se généraliserait. Pourtant, le vrac demeure une consommation de niche.

Selon Bérangère de Clerck, plusieurs facteurs seraient à l’origine de cette léthargie du secteur. La première : l’absence d’emballage, donc la question de l’hygiène. « En matière d’hygiène, il y a un vide législatif en ce qui concerne le vrac », déclare-t-elle. Contrairement à la grande distribution, dont le vrac n’est pas le métier, les boutiques spécialisées sont formées. L’association Réseau VRAC fournit un guide juridique aux indépendants adhérents. « Il permet de respecter les règles d’hygiène et de sécurité par rapport au produit. Il forme à la traçabilité, au nettoyage des silos et à la sécurité avec les produits détergents, par exemple. » Cependant, si un client trouve par malheur une mite ou autre dans son sachet, il sera vacciné, bien que cela puisse aussi arriver dans les produits industriels… Elle prolonge sa réflexion : « Le problème va plus loin que ça, il touche le système de consommation actuel. On importe de super loin et en grande quantité donc la question se pose : comment gérer l’hygiène d’un produit sur des chaînes de distribution aussi importantes ? »

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Thierry Desouches, porte-parole de Système U, le soulignait dans un article du journal Challenges en date du 30 avril 2021 : la mesure est loin d’être facile à mettre en place dans la grande distribution. Elle « ne dépend pas uniquement du distributeur, mais aussi du fournisseur et surtout du consommateur ». Mais dans quelle mesure le consommateur a-t-il la liberté de choisir dans un contexte d’accélération de la hausse des prix ? Une partie des foyers français ne peut se permettre cette alternative plus écologique.

Dans la grande distribution, les produits en vrac sont plus chers que dans les boutiques spécialisées aux valeurs vertueuses. Ces dernières subissent d’autant plus la crise inflationniste de ces derniers temps qu’elle est ajoutée à cette nouvelle concurrence. De 100 millions € HT en 2013, le chiffre d’affaires du vrac était de 1,2 milliards en 2019. Mais les supermarchés représentaient déjà 57 % des ventes contre 24 % pour les boutiques spécialisées (source). « Les consommateurs de vrac ne sont pas forcément attachés au point de vente. S’ils peuvent acheter cela en supermarché, ils le font parce que c’est plus pratique et peut représenter un certain gain de temps », pointait Florence de Ferran, enseignante-chercheuse en consommation responsable, dans un article sur ÉcoRéseau Business publié le 7 février 2022. « Depuis la fin du covid, on a constaté une chute drastique du nombre de magasins spécialisés dû à une baisse de la consommation en vrac », regrette Bérangère de Clerck.

Le gain de temps l’emporte sur une démarche certes responsable, mais qui peut se révéler énergivore. Consommer en vrac signifie se rendre dans plusieurs boutiques, comme il était coutume de faire dans le temps… Certaines personnes y verront une régression. Mais ce rétropédalage vers une consommation plus raisonnée ne révélerait-elle pas, au contraire, les limites d’un système nourri à la surconsommation qui, aujourd’hui, nuirait au bien vivre de la société ? « Pour avoir de vrais produits frais, il ne faudrait pas être dans ce système-là, mais là, on touche au problème de la surconsommation. C’est un autre sujet, mais tout est aussi lié. » Changer le système signifierait aller contre l’industrie agro-alimentaire et, de ce fait, Bérangère de Clerck soupçonne une non volonté de la part du gouvernement. « Tant qu’il n’y aura pas une consommation unanime du vrac, le gouvernement ne va pas insister pour le développer même s’il existe la loi AGEC. »

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Ma Joyeuse épicière, 40 rue d’Antrain, Rennes

À l’image des boutiques Biocoop qui ont permis la démocratisation du bio et du vrac à une époque, la présence de rayons vrac dans la grande distribution sont sans conteste une pierre à l’édifice du vrac. Mais le risque n’est-il pas une appropriation du marché au détriment des indépendants et le développement d’un greenwashing au service de l’agro-industrie ? « Qu’il y ait du vrac dans les grandes surfaces sensibilise les personnes, mais le problème, c’est que ça ne leur en donne pas forcément une bonne image », déclare la gérante de Ma Joyeuse Épicière. « Le vrac est laissé en libre service sans forcément de référent pour aider et conseiller la clientèle. »

Bérangère de Clerk termine sur une note positive : « Si une personne se met au vrac en supermarché pour des raisons écologiques, je suis persuadée qu’elle va finir par aller dans une épicerie spécialisée. Quand on met un doigt dans l’engrenage, tout le corps y va. »

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