Il fallait oser. Il fallait même un certain génie bureaucratique, un mélange subtil de désinvolture post-moderne et de cécité administrative, pour balancer à la déchetterie une œuvre d’Andy Warhol représentant… rien de moins que l’ex-reine Beatrix des Pays-Bas. La commune néerlandaise de Maashorst l’a fait. Et pas seule : dans son élan destructeur, elle aurait joyeusement accompagné la sérigraphie princière de 45 autres œuvres vers leur recyclage artistique terminal.
Voilà donc Reigning Queens, série royale pop par excellence, réduite au rang de papier glacé indésirable, probablement compressée avec quelques prospectus municipaux, une cafetière cassée et les restes du déjeuner du service urbanisme.
Les 15 minutes de gloire… version compactée
Pour Warhol, prophète du consumérisme devenu icône de musée, cette mésaventure posthume aurait sans doute relevé de la performance artistique involontaire. Quoi de plus warholien, après tout, qu’un portrait de monarque jeté comme un vieux poster de Justin Bieber ? Une ironie parfaite, si seulement elle n’était pas si grotesquement réelle.
Les autorités locales, dans un moment de grande introspection logistique, ont tenté de se justifier : les œuvres auraient été « mal identifiées ». Traduction : personne n’a pris la peine d’ouvrir les cartons avant de les confier aux éboueurs. En d’autres termes, un Warhol peut valoir des centaines de milliers d’euros… ou une erreur de clic dans un fichier Excel mal rangé.
Quand les Pays-Bas inventent le ready-made inversé
Il y avait là de quoi frémir d’effroi chez les conservateurs de musée, les commissaires d’exposition et autres amateurs d’art contemporain : voilà une institution publique qui vient de créer une nouvelle catégorie esthétique — l’art perdu par négligence administrative. Un Duchamp inversé, où l’objet d’art redevient urinoir, et où la sérigraphie d’une souveraine est rétrogradée au rang de déchet non-trié.
Et quelle souveraine ! Beatrix, dont la pose figée et la moue compassée offraient à Warhol un sujet idéal pour sa critique en technicolor des figures de pouvoir. Une image entre sacralité monarchique et plastique de supermarché. Aujourd’hui, il ne reste sans doute que des lambeaux.
Royauté au compost et ministère de la distraction
Dans un monde où l’art est assuré, numérisé, traqué, inventorié jusque dans les couloirs des universités, Maashorst réussit le tour de force d’opposer une gestion digne d’un vide-grenier rural. Résultat : 46 œuvres évaporées dans le néant ordinaire d’un camion-poubelle. On espère que les fonctionnaires locaux prendront désormais plus de précautions avec leurs archives… ou leurs enfants.
Si les Pays-Bas cherchaient un nouveau slogan touristique, celui-ci ferait merveille : Maashorst ou Warhol à la refactory…
