La Divine Comédie fait partie de ces grandes œuvres de la littérature mondiale que quelques peintres et dessinateurs fameux se sont attachés à illustrer : Sandro Botticelli à la Renaissance, John Flaxman au XVIIIe siècle, William Blake et Gustave Doré au XIXe siècle, Dali au XXe siècle… Outre ces artistes, il en est un autre, infiniment moins connu, hélas, Breton d’origine et de coeur, qui a enrichi l’iconographie du livre de Dante : Yan’ Dargent (1824-1899), né à Saint-Servais, petite commune finistérienne, qui lui a d’ailleurs consacré un musée.
La Bibliothèque municipale de Brest en 1976, celle de Rennes en 1999, et le Musée de Quimper la même année ont réalisé des expositions qui ont permis de remettre en lumière l’œuvre de cet artiste, aussi bien picturale (Les lavandières de la nuit peint en 1861 est son tableau le plus connu) qu’illustrative. Yan’ Dargent a en effet réalisé l’iconographie de plus de cent ouvrages, qu’ils soient d’inspiration religieuse (La vie des saints en 1887) ou qu’ils s’adressent aux enfants : Les Contes danois et les Nouveaux Contes danois d’Andersen, entre 1873 et 1875, les Contes bleus d’Édouard de La Boulaye en 1884, les Contes des frères Grimm en 1866, les Contes de Charles Perrault en 1875.
Yan’ Dargent a illustré aussi les ouvrages savants et de vulgarisation scientifique, très en vogue au XIXe siècle: l’Histoire naturelle de Buffon en 1866, un Récit de la vie des plantes de l’entomologiste J.-H. Fabre en 1867, les Fééries de la Science ou Le monde des insectes de Samuel Henry Berthoud en 1864.
Yan’ Dargent a mis enfin son art au service d’un grand texte de la littérature universelle, La Divine Comédie de Dante, publiée par Garnier en 1874. A l’instar de son ami Gustave Doré, il a réalisé des planches affichant des mises en scène grandioses et de vastes décors, où campent des personnages déchirés, anéantis ou extatiques, dans des paysages tour à tour crépusculaires ou lumineux, de veine romantique. Yan’ Dargent y a dessiné une nature, végétale et minérale, aux contours torturés, souvent anthropomorphiques, comme il les aime, et faite pour subjuguer ou effrayer le lecteur.
En revanche, et à l’inverse de Gustave Doré, Yan’ Dargent n’a pas eu, semble-t-il, l’audace ou l’opportunité, d’illustrer d’autres grands auteurs comme Rabelais, Cervantès, La Fontaine. On imagine pourtant les superbes dessins qu’il aurait pu créer pour illustrer les Fables. Ceci explique peut-être la postérité très modeste d’une œuvre injustement méconnue au-delà des limites de la Bretagne.
Pour les amateurs de beaux livres, quelques ouvrages, présents à la BU de Rennes 2, à conseiller sur l’art de Yan Dargent :
– Jean Berthou : Yan’ Dargent, illustrateur (in: Bulletin et mémoires de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, tome 105, 2002). Cet article, très exhaustif, recense et analyse l’ensemble des livres illustrés par Yan’ Dargent.
– Martine Plantec : Etude en noir et blanc: Yan’ Dargent illustrateur de livres (3 volumes, Mémoire de maîtrise d’Histoire de l’art sous la direction de Denise Delouche, Université de Rennes 2, 1986). On trouve dans ce travail une très intéressante étude comparative des planches de la Divine Comédie créées par Doré et Dargent.
Ateliers Livre en main : programmés en fin d’après-midi, ils permettent à tous, spécialistes et non-spécialistes, de découvrir les livres remarquables de la Réserve de la BU de Rennes.
Premier rendez-vous, le 22 octobre à 17h30, est consacré à un exemplaire particulièrement bien conservé de la première édition de l’Enfer de Dante avec les gravures de Gustave Doré (1861). Cet ouvrage a été acheté par la Bibliothèque universitaire ce printemps. Il a été présenté pour la première fois au public par Claire Lesage, du département d’italien, pour le Village des sciences le 6 octobre.
Illustrer la Divine comédie dans la deuxième moitié du XIXe.
La Divine Comédie est le récit à la première personne d’un voyage dans l’au-delà, à travers l’enfer, le purgatoire et le paradis, que Dante (1265-1321) affirme avoir entrepris à l’âge de trente-cinq ans, le Vendredi saint de l’an 1300. Guidé d’abord par Virgile (en enfer et au purgatoire), ensuite par Béatrice et pour finir par Bernard de Clairvaux (au paradis), le poète florentin rencontre tout au long de son cheminement une impressionnante galerie de personnages, campés dans des décors singuliers.
Depuis le XIVe siècle, les histoires racontées dans ce long poème ont nourri les œuvres de
nombreux enlumineurs, peintres et illustrateurs, mais c’est seulement dans la deuxième moitié du XIXe siècle que l’univers poétique de Dante – surtout celui de l’enfer – devient
véritablement populaire en France, grâce en particulier aux illustrations de Gustave Doré pour l’édition de l’Enfer publiée en 1861 chez Hachette. (BU Rennes 2 PAT G 15)
Dix-huit ans plus tard, en 1879, c’est le peintre et illustrateur breton Yan’ Dargent qui met en images la Divine Comédie, dans un souci de distinction par rapport à son prédécesseur (BU Rennes 2 PAT M 300). La comparaison entre ces deux éditions illustrées du chef-d’œuvre de Dante ainsi que l’analyse de la relation qu’elles entretiennent avec le poème permettent d’étudier la place spécifique qu’occupent les images dans le processus toujours renouvelé de l’interprétation des textes.
Dante Alighieri, Enfer, traduction de P.-A. Fiorentino, illustrateur G. Doré, Paris, Hachette, 1861 BU Rennes 2 PAT G 15
Dante Alighieri, La Divine Comédie, traducteur A.-F. Artaud de Montor et L. Moland,
illustrateur Y. Dargent, Paris, Garnier frères, 1879
Musée Yan’ Dargent à Saint-Servais ici.
LES LAVANDIÈRES DE LA NUIT YAN’ DARGENT (1824-1899). Texte Musée des Beaux-Arts de Quimper :
Yan’Dargent, le peintre des fresques de la cathédrale de Quimper, s’est souvenu des légendes de son enfance. Le thème des lavandières est en effet issu du recueil de nouvelles d’Emile Souvestre, Le Foyer breton, paru en 1844.
A la Toussaint, les lavandières lavent leur linceul par les nuits sans lune et sans étoiles. Malheur à l’imprudent, tel le mécréant Postik, qui s’aventure dehors et les rencontre, car elles l’invitent alors à les aider. Il ne peut s’y soustraire et bientôt elles tordent le linge avec tant de force qu’elles lui brisent les os.
George Sand qui appréciait les légendes bretonnes et fit l’éloge du Barzaz Breiz évoquera d’autres “Blanchisseuses du diable” dans ses propres écrits, dont la fameuse Mare au diable. Il existe de nombreuses versions des Lavandières, le plus souvent des femmes expiant, la nuit venue, les péchés commis de leur vivant : travail pendant les jours de repos sacrés, infanticide…Il ne fait pas bon croiser leur chemin, pas plus que celui des Vapeurs de la nuit, les anaonn ou âmes des défunts…