Zoc de Jade Khoo pose une question pour le moins capillo-tractée : que faire de sa vie d’adolescente quand on possède le don d’attirer l’eau dans ses cheveux ? La première BD remarquable de la jeune autrice, parue aux éditions Dargaud, y apporte une réponse poétique et merveilleuse.
Zoc. Trois lettres, comme le son d’une goutte d’eau qui tombe sur le sol. Trois lettres comme le prénom d’une adolescente rêveuse qui possède un don peu banal : ses cheveux attirent l’eau qui devient ru, ruisseau, fleuve quand elle avance dans le paysage. Aussi, quand un conseiller d’orientation lui demande ce qu’elle veut faire plus tard, elle écrit « tirer de l’eau avec mes cheveux ».
Elle a le nez souvent tourné vers le ciel. De lui, des nuages dépendent sa journée, ses envies. La pluie, et elle peut créer une mare, un ruisseau. Le soleil, et elle peur rêvasser et jouir des oiseaux et du moment présent.
Cherchant un petit boulot pendant sa scolarité, on lui demande de déplacer les tonnes d’eau d’un village inondé et de les transporter dans un endroit plus propice. En route, elle rencontre un petit homme aux yeux bleus, Kael, qui a, quant à lui, la singularité de prendre feu lorsque quelqu’un autour de lui souffre psychologiquement ou physiquement. L’eau et le feu partent ainsi, réunis pour un drôle de voyage. Peut-être alors pourront-ils ensemble transformer les inondations et la souffrance humaine en nuages ?
Ainsi énoncée, cette histoire poétique et tendre peut ressembler à un conte pour enfants. Plus encore, à une fable pour adolescents qui cherchent leur avenir en faisant le bien. C’est difficile à concevoir, l’avenir, quand on est jeune, sans passion particulière, si ce n’est pour les Châtelets, « sortes de troubadours » au corps d’oiseau. Pourtant, au-delà du récit, en s’arrêtant un peu, le nez dans le bleu du ciel, on distingue aussi les difficultés à ne pas faire le mal, même involontairement, à prendre les bonnes décisions pour le bien être de la Terre, à modifier et à guider la nature, comme Zoc guide le cours de l’eau, sans détruire l’existant. Tout est complexe et donne mille raisons à Kael de s’enflammer quand le monde s’embrase de colère.
Au-delà cependant de ces réflexions, on se laisse emporter comme les poissons dans le sillage de la chevelure de Zoc par un récit qui peut dérouter au cours des premières pages, mais qui, au fur et à mesure de la balade de la jeune fille, respire la poésie des levers et des couchers de soleil, des oiseaux striant le ciel de leurs cris et de leurs vols hiératiques. On erre de jour et de nuit dans la région de Nemours, dans ce Gâtinais métamorphosé en décor de rêve.
Le dessin possède le trait simple du manga où quelques stries suffisent à exprimer les émotions d’un visage. Le trait est léger et laisse la place aux couleurs douces du pastel, notamment pour des pleine-pages magnifiques, aux couleurs vives et brutes quand la réalité prend le pas sur la rêverie. C’est une balade à laquelle nous sommes conviés.
À vingt trois ans, Jade Khoo, née à Fontainebleau, réalise avec Zoc une BD attachante, qui vous donne envie de reprendre l’album, de regarder le ciel et les nuages qui s’amoncellent, ou le soleil qui revient. De reprendre ses chaussures de marche ou d’aller pieds nus dans le ruisseau qui coule derrière la chevelure de Zoc. Une balade poétique et fantastique.
Zoc de Jade Khoo. Éditions Dargaud. 18 mars 2022. 144 pages. 16,50 €.