Le 25 novembre 1895, au moment même où les feuilles tombent et où le vent se lève, Adrienne Armande Pauline Bolland pousse son premier cri à Arcueil. Elle naît le même jour que son père, écrivain belge et explorateur passionné, figure errante et aventureuse, lui-même né dans la tempête d’une affaire politico-financière. Le destin d’Adrienne commence sous ce signe : refus des chemins tracés, goût du déplacement, défi lancé aux certitudes.
Mais c’est au Crotoy, dans la baie de Somme, que son envol se dessine. L’école de pilotage des frères Caudron devient sa rampe de lancement. Elle s’y présente en 1919, fauchée, têtue, piquante, bien décidée à piloter comme d’autres se marient. On la dit petite, nerveuse, provocante. On la moque. Elle s’entraîne, chute, recommence. Et le 26 janvier 1920, elle obtient son brevet, devenant la première jeune femme française brevetée après-guerre. À peine quelques mois plus tard, elle réussit son premier looping – et entre dans l’histoire de l’air comme on entre en religion : corps offert au vide, regard rivé au ciel.

Elle aurait pu se contenter de cela. Mais Adrienne Bolland ne voulait pas planer ; elle voulait tutoyer le danger. En 1921, c’est la cordillère des Andes qui se dresse devant elle, monstre de roche et de silence. Son appareil ? Un Caudron G.3 en toile et bois, avec un moteur poussif et une hélice entêtée. Contre l’avis des experts, elle part seule, munie de quelques journaux dans sa combinaison de coton, de graisse sur le torse pour lutter contre le froid, d’un poignard contre les condors et… d’un six-coups pour brûler son avion si elle s’écrasait. Quatre heures et quinze minutes de vol, des vents rabattants, des sommets mortels, l’intuition pour seule boussole. Le 1er avril 1921, elle devient la première femme au monde à survoler les Andes. Elle se pose à Santiago, transfigurée, acclamée, à jamais intrépide.
Mais Adrienne Bolland n’était pas que l’“Hirondelle des Andes”. Elle fut aussi voltigeuse, résistante, féministe, pacifiste, libre. Dès les années 1920, elle multiplie les records : traversée de la Manche, 212 loopings en 72 minutes, voltiges endiablées aux meetings aériens. Elle forme, encourage, pousse d’autres femmes à voler. Elle aide Maryse Bastié, parraine Hélène Boucher, soutient Louise Weiss dans son combat pour le droit de vote des femmes. Elle devient une figure populaire, une voix sans filtre, et un corps souvent cabossé par des sabotages. Son franc-parler déplaît autant qu’il inspire. Ses avions, on les trafique. Mais elle, elle continue.
Pendant la guerre, elle résiste, aux côtés de son mari Ernest Vinchon, rencontré sur la Côte d’Azur. Ensemble, ils rejoignent le réseau Castille, Adrienne devient opératrice radio, repère des terrains de parachutages clandestins. L’aviation est toujours là, mais comme arme de liberté. En 1961, elle est honorée par Air France, puis par l’Amérique du Sud, qui la célèbre comme une légende vivante. Jusqu’à sa mort, en 1975, elle continue de transmettre le feu du ciel à ceux qui savent lever les yeux.
Adrienne Bolland repose à Donnery, dans le Loiret. Son nom orne des écoles, des rues, une station de tramway, un timbre, et la mémoire de ceux qui savent ce que voler veut dire. Elle fut officier de la Légion d’honneur, médaillée de la Résistance, reine des vendanges de Mendoza, et au fond, toujours cette fille indocile qui n’accepta jamais que l’apesanteur des règles. Son moteur ? Le refus de plier. Sa signature ? L’espièglerie, même au bord du gouffre. Son héritage ? Une ligne d’horizon pour celles et ceux qui ne veulent pas marcher droit.
Le Crotoy ne l’a pas oubliée. L’exposition « Adrienne Bolland, un destin né au Crotoy » rend enfin justice à cette flamme en salopette de coton, à cette pionnière qui préféra la voltige aux compromissions, et le vent au silence. Une femme libre, pour qui voler fut moins une conquête du ciel qu’un manifeste de vie.
