« J’allais mal ; tout va mal ; j’attendais la fin. Quand j’ai rencontré Victorien Salagnon, il ne pouvait être pire, il l’avait faite la guerre de vingt ans qui nous obsède, qui n’arrive pas à finir, il avait parcouru le monde avec sa bande armée, il devait avoir du sang jusqu’aux coudes. Mais il m’a appris à peindre. Il devait être le seul peintre de toute l’armée coloniale, mais là-bas on ne faisait pas attention à ces détails.
Il m’apprit à peindre, et en échange je lui écrivis son histoire. Il dit, et je pus montrer, et je vis le fleuve de sang qui traverse ma ville si paisible, je vis l’art français de la guerre qui ne change pas, et je vis l’émeute qui vient toujours pour les mêmes raisons, des raisons françaises qui ne changent pas. Victorien Salagnon me rendit le temps tout entier, à travers la guerre qui hante notre langue. »
« L’armée en France est un sujet qui fâche. On ne sait pas quoi penser de ces types, et surtout pas quoi en faire. L’armée en France est muette, elle obéit ostensiblement au chef des armées, ce civil élu qui n’y connaît rien, qui s’occupe de tout et la laisse faire ce qu’elle veut. Ces militaires on les préfère à l’écart, entre eux dans leurs bases fermées de la France du Sud, ou alors à parcourir le monde pour surveiller les miettes de l’Empire. On préfère qu’ils soient loin, qu’ils soient invisibles ; qu’ils ne nous concernent pas. On préfère qu’ils laissent aller leur violence ailleurs, dans ces territoires très éloignés peuplés de gens si peu semblables à nous que ce sont à peine des gens. »
Prix Goncourt 2011, ce roman parle de la société française comme d’une société en guerre. 600 pages qui se déroulent du début de la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux modernes émeutiers de notre société. Une façon de conférer une certaine virilité à notre littérature hexagonale. Comme a priori le genre avait été oublié depuis un certain temps, cette œuvre est la sensation de la rentrée. Justifié ou non ?
C’est la guerre. Les forts contre les faibles, ces derniers servant de nourriture aux premiers. C’est le parti-pris d’Alexis Jenni : revisiter l’histoire à travers un darwinisme quelque peu exotique. Si le traitement historique est parfois percutant, notamment le tableau de la France colonial(iste), l’ensemble accuse un sérieux manque de puissance et de cohésion. Le tout est desservi par un style médiocre et une confusion – critiquable en matière de traitement historique – entre écrivain et narrateur.
Un livre qui exploite une matière aussi ambitieuse que la violence ne saurait tolérer l’approximation, pour ne pas dire l’amateurisme. On retiendra que c’est premier roman. De là à en faire un Goncourt… En fait, pourquoi pas ? Tant de couronnements ont été encore moins justifiés.