Algiers, le nom n’est pas commun, la musique ne l’est guère plus. Le premier album éponyme du trio originaire d’Atlanta tient du brûlot mais pas du feu de paille. La force inspirée de la soul et du gospel se mêlent d’une manière inimaginée à la rage glaciale d’une électro post-punk incantatoire et possédée… nous vivons une époque formidable !
Mais oui… Formidable. Avec ses affirmations énormes et stériles, ses interrogations palpitantes et lancinantes. Certes, une époque noire, souvent; dure, extrêmement, politiquement, socialement. Mais humainement, culturellement ? Qui, il y a encore vingt ans, aurait parié un kopeck (et ce malgré Massive Attack, Lauryn Hill ou même Death Grips…) sur la réussite ardente d’un projet mêlant la froide et sombre musique post-punk des jeunesses nord-européennes avec la rage illuminée de la soul et du gospel noir-américains ? Sur cette soul grunge et décalée ? Dans le nihil est désertique de l’époque les conjonctions inattendues se produisent. A l’heure où les frontières s’amenuisent et où la musique se diffuse à la vitesse de la lumière les années et les lieux ne comptent plus ; Killing Joke fait le boeuf avec Otis Redding autour d’un électrique potlatch frénétique, le (déjà) très crossover Gil-Scott Heron swingue avec The Jam dans les ruines antiques d’un complexe soviétique ou d’une usine désaffectée de Détroit (patrie du rock greasy du fameux MC5), la grise rigueur mancusienne de New Order s’enflamme, danse et crépite dans un jam vaudou autour des mannes d’un Screamin’ Jay Hawkins déguisé en clown blanc… (un petit tour dans la réjouissantes section mixtape du site d’Algiers, donne une bonne image de ce qu’est la culture musicale riche et variée de ce jeune trio).
Par la composition métissée du groupe ou l’origine du chanteur on songera au groupe proto-punk noir américain Death (de Détroit, bien oui, à ne pas confondre avec leur homonyme, plus récent, originaire d’Orlando en Floride et pionnier du death metal avec leur légendaire frontman Chuck Schuldiner) ou bien au plus contemporain et extrême Death Grips… On aura pas tout à fait tort car le son globalement (et superbement) saturé de l’album ne manque pas de se référer à tous ces extrémismes soniques rageurs et survoltés. Et pourtant, on échouera à capter l’essence de ce jeune projet prodige en se limitant à un comparatisme forcené.
Parlons en de la production (au sens sonore et non monétaire) de ce furieux premier album. Premier album, oui. Le trio est jeune, fougueux et malgré tout ce qu’on nous refourgue musicalement à l’heure actuelle sous le label “découverte, jeune, impétueux” il est bien rare de dégoter autre chose que de la musique calmante, déjà formatée, hype au plus haut point, bien fashionable sous tous rapports. Ici, bien qu’enregistré dans les très cosy studio de 4AD l’urgence brûlante reste de mise. La critique des indifférences coupables de nos sociétés, portée par des paroles cinglantes vise juste.
His fathers stole – and wrote the laws of the land – And now he flips the coin of power – with all his friends – Deciding who is fit to go out and die – And who is black enough to be left behind – And who will model their exceptionnal lie – And just how many they can murder at the border line (But she was not flying)
L’aspect DIY est sublimé par la production rageuse de Tom Morris (maître d’oeuvre pour Zulu Winter, Faust, Gallon Drunk ou encore Lydia Lunch). Production à l’os, sans fioriture, accentuant, au contraire, les morsures chimiques de la saturation, contrôlant à fleur de nerfs les incendiaires débordements des voix hypnotiques et des guitares spasmodiques par dessus un paysage de lourdes rythmiques glaciaires et de subtiles basses bombardières. Une unité de ton qui laisse néanmoins toute sa place à la variété des émotions et des grooves. Si When you fall est l’un des titre le plus remuant (pour ne rien dire de l’ambiance de pogo apocalyptique de Old Girl) il n’en est pas moins traversé, à vif, de lancinantes guitares corrosives alors que le chant shamanique de Franklin James Fisher (voix chaude prise dans l’étau d’une distorsion explosive) n’est pas moins ardent que sur Blood, ce gospel électrique percussif, tout en tension qui se termine en implosion de déchirantes guitares volcaniques…
ALGIERS sera en concert le vendredi 14 août 2015 dans le cadre du festival
Algiers, album, 11 titres, Matador records, 2015