Depuis 24 ans, l’art dans les chapelles invite chaque été une vingtaine d’artistes contemporains, de renommée nationale et internationale, à investir des chapelles, pour la plupart des XVe et XVIe siècles. Cette manifestation née du désir d’engager un dialogue entre art contemporain et patrimoine religieux se déguste en quatre circuits. Comme quatre pétales qui s’épanouissent autour de Pontivy. Butinons avec Karim Ghaddab, le directeur artistique, cette 24e édition de l’art dans les chapelles.
Un (bon) point d’abord pour ce formidable visuel, cette image quasi wagnérienne où l’on voit le ciel tomber sur la terre (performance d’Hicham Berrada à la Villa Médicis à Rome). Fort pertinent pour une invitation dans des lieux édifiés par des terriens désireux que leurs âmes s’élèvent vers le ciel ! Karim Ghaddab confirme cette donnée fondamentale : « chaque artiste doit comprendre la dimension spirituelle de chaque lieu ». Et de préciser que « ce moment particulier s’accompagne de contraintes fortes, tant au niveau architectural, que technique et sonore ». Certains en jouent de manière inattendue, car le lieu les inspire, surtout lorsqu’il s’agit d’une production particulière in situ dans le cadre d’une résidence.
Ainsi Hélène Launois a creusé l’idée de l’ex-voto, en se demandant comment un croyant actuel pourrait exprimer sa prière d’intercession à Dieu ou à un autre saint sympa. Comme ils vivent tous au ciel, il faut donc ériger une tour de communication ! Entre totem et antenne (très) allumée, son installation multimedia évoque un élément de décor de série B de science-fiction. A prendre avec humour et au second degré. (dans le site sublime de la Chapelle Notre-Dame du Gelhouit à Melrand)
« Ceci est notre corps », le titre de l’œuvre de Bernard Lallemand fait évidemment référence au sacrifice de Jésus-Christ. Son travail et sa réflexion autour des relations ambivalentes qu’entretiennent l’organique et le technologique, les corps et l’instrumentation et les stratégies de contrôle du “bio pouvoir” permettra de (re)découvrir l’architecture de la chapelle Saint-Adrien en Saint Barthélémy qui fait son retour dans le circuit cette année.
Autre (et double) nouveauté réjouissante : l’intégration au circuit de la chapelle Saint-Jean à Mûr-de-Bretagne avec un artiste performer.
Claude Cattelain aime « tenter l’expérience, tester les limites de son corps et des matériaux dans des actions dont le protocole peut s’écrire en une seule phrase : marcher sur place dans le sable en creusant le sol sous ses pas ; repousser les vagues à la marée montante ; percer des trous de l’intérieur d’une boite pour respirer et y voir clair ; tenir en porte-à-faux au-dessus du vide ; élever une colonne de briques à partir du plafond ; construire une structure instable dont son corps est la clé de voûte incertaine ; assembler des poutres ou des blocs de béton au risque qu’ils vacillent ». Gageons que l’étonnante architecture intérieure de la chapelle l’inspire divinement !
À la chapelle de la Trinité de Castennec, Karim Ghaddab a les yeux qui brillent quand il évoque Camille Saint-Jacques : cet artiste à la personnalité protéiforme (il enseigne le français et la géographie) n’attend pas de la peinture « qu’elle consistât en une quelconque accumulation d’images tributaires d’un empilement d’œuvres laissées là dans l’attente d’un regard comme autant de paquets qu’un voyageur étourdi aurait laissé en souffrance sur tous les quais de gares où le périple de sa vie l’aurait conduit ». Il fait de son mieux pour « être le plus léger possible, présent, mais à peine ». Quitte à accepter qu’elle s’abimât en raison de l’humidité inhérente au lieu. C’est déjà le cas pour ses trois immenses aquarelles, trois tableaux fragiles complétés par trois lectures enregistrées, chuchotées comme il est d’usage dans un lieu saint. À déguster avec des casques. « L’écrit, le visuel, le sonore, c’est une œuvre d’art totale ». Et discrète.
Karim Ghaddab invite aussi à marcher dans les pas de Sainte Tréphine. Une des innombrables martyr(e)s au destin gore. Celle-ci fut décapitée par son seigneur de mari, mais saint Gildas recolla les morceaux. Plusieurs chapelles lui sont dédiées en Bretagne dont une à Pontivy, pourvue de fresques magnifiques sur la voûte. L’artiste Marion Robin crée une œuvre surprenante qui par un curieux et laborieux effet de symétrie entre plafond et sol nous force à regarder différemment cette merveille d’art populaire. «L’idée, c’est inverser, renverser, faire valser ». Réussi !
Le successeur d’Olivier Delavallade à la direction artistique de l’Art dans les chapelles poursuit l’échange avec le directeur du Domaine de Kerguéhennec (à Bignan). Tous deux reçoivent l’artiste américain Paul Wallach dont « les réflexions toujours plus larges sur l’éphémère, la nécessité, la précarité, l’utilité, la vérité, l’ambiguïté, le temps, la lumière, le lieu, l’espace, la forme, le matériau, le volume, le vide, l’autonomie, l’identité, la légèreté, la lévitation et la pesanteur se combinent indéfiniment, générant les questions qui sont à la source de ce qui deviendra sculpture ». À la chapelle Saint-Nicolas, à Pluméliau, son travail en trois dimensions, dialogue subtilement avec le sol de guingois et l’arc brisé au-dessus d’une porte.
Autre artiste invité atypique – d’ailleurs il n’est pas artiste ! – l’écrivain Jean-Christophe Bailly est l’auteur de nombreux livres (notamment Le Dépaysement au Seuil, 2011). Il a pratiqué la plupart des genres littéraires, à l’exception du roman, en jouant sur leurs entrecroisements. Les questions d’espace jouent un rôle constant dans ses écrits et dans ses interventions – comme certains l’ont constaté lors de sa venue pour la dernière conférence de l’année à l’École d’architecture de Bretagne. Elles l’ont conduit à travailler souvent avec des peintres, des photographes ou des architectes ainsi qu’à donner des cours à l’École de Paysage de Blois ou à l’École de Photographie d’Arles. « L’idée, en l’invitant, était justement de proposer l’espace d’une chapelle non à un artiste plasticien, mais à un écrivain et ce fut pour lui un défi et aussi une joie. Ce n’est toutefois pas par des mots qu’il répond à cette invitation, mais par une installation, à Notre-Dame de Joie (ou N-D du Gohazé) à Saint-Thuriau, au bord du Blavet, lieu qui l’a immédiatement conquis et dont il entend ne pas troubler le silence ».
Signalons encore deux artistes qui excitent notre curiosité. Denis Bourges, photographe à l’agence Tendance Floue, dont on a beaucoup aimé les travaux sur Bombay, sur le Mont-Saint-Michel et sur les pas de son père médecin de campagne en Bretagne. Il dévoile ses Sociétés en huis clos à la chapelle Saint-Drédeno à Saint-Gérand. Quant à Hicham Berrada, auteur de ce fameux visuel, l’homme qui « essaye de maîtriser les phénomènes qu’il mobilise comme un peintre maîtrise ses pigments et pinceaux » va surement nous faire vibrer avec l’expérimentation qu’il propose dans ce lieu absolument magique de la chapelle Saint-Gildas à Bieuzy. Précisons qu’en contrebas de cette chapelle, le Blavet forme un plan d’eau propice à une délicieuse baignade. N’oubliez pas votre maillot ! L’été sera chaud… et arty !
Pour le visiteur, parcourir les circuits de L’art dans les chapelles, c’est se mettre dans un état de disponibilité favorable à la rencontre. Rien n’est imposé : ni le parcours, ni l’interprétation, ni le jugement. Ce cheminement est un exercice de la liberté de chacun, à la rencontre d’un territoire, de son histoire, de ses identités multiples et de sa réinvention permanente. (Karim Ghaddab, directeur artistique de L’art dans les chapelles.)
L’art dans les chapelles 3 juillet au 20 septembre 2015. Entrée libre
Juillet et août : Tous les jours, sauf le mardi, de 14h à 19h. Septembre : Les trois premiers week-ends, de 14h à 19h
Les artistes
Les lieux
Chaque artiste dans chaque lieu – un lieu pour chaque artiste:
- Ismaïl Bahri
- Jean-Christophe Bailly
- Hicham Berrada
- Denis Bourges
- Élodie Boutry
- Claude Cattelain
- Béatrice Duport
- Clément Laigle
- Bernard Lallemand
- Hélène Launois
- Jean François Maurige
- Matthieu Pilaud
- Anne et Patrick Poirier
- Camille Saint-Jacques
- Marion Robin
- Wade Saunders
- Elmar Trenkwalder
- Paul Wallach
- Chapelle de la Trinité, Cléguérec
- Chapelle Notre-Dame du Gohazé, Saint-Thuriau
- Chapelle Saint-Gildas, Bieuzy
- Chapelle Saints-Drédeno, Saint-Gérand
- Chapelle Saint-Tugdual, Quistinic
- Chapelle Saint-Jean, Mûr-de-Bretagne
- Chapelle Notre-Dame-des
- Fleurs, Moric, Moustoir-Remungol
- Chapelle Saint-Meldéoc, Locmeltro, Guern
- Chapelle Saint-Adrien, Saint-Barthélemy Guelhouit, Melrand
- Chapelle Saint-Jean, Le Sourn
- Chapelle Sainte-Noyale, Noyal-Pontivy
- Chapelle Notre-Dame dMoustoir, Malguénac
- Chapelle de la Trinité, Castennec, Bieuzy
- Chapelle Sainte-Tréphine, Pontivy
- Chapelle Locmaria, Séglien
- Chapelle Saint-Laurent, Silfiac
- Chapelle Saint-Nicolas, Pluméliau
Visite libre
Les 25 sites sont répartis au long de quatre circuits d’une cinquantaine de kilomètres chacun, à parcourir en voiture. Un guide accueille les visiteurs sur chaque site.
Le Petit Journal permet de préparer sa visite en toute autonomie. Ses 20 pages rassemblent des notices sur les chapelles et les œuvres, une rubrique “où dormir, où manger”, une carte des 4 circuits-voiture et un livret jeu pour les enfants « de 7 à 77 ans ». Ce guide est en vente au prix de 5 € à la maison du chapelain, Point Accueil de la manifestation à Pluméliau, dans les chapelles et dans les offices de tourisme partenaires.
Infos et réservations au 02 97 51 97 21
Visites accompagnées
Chaque jeudi, un médiateur accompagne les visiteurs à la découverte de l’un des quatre circuits (sur une demi-journée) ou de deux circuits (sur une journée). Départs à 9h30 et 14h30. Tarif : 8 € la journée, 5 € la demi-journée, gratuit pour les moins de 12 ans.
Ateliers nomades
Chaque mardi après-midi, L’art dans les chapelles invite petits et grands à expérimenter une pratique artistique autour de l’œuvre d’un artiste de la programmation dans une chapelle des circuits. Ouvert à tous. Tarif : 6 € pour les adultes, 2 € pour les enfants dès 4 ans. Matériel fourni. De 14h à 17h.
Une alternative aux circuits routiers : les parcours vélo
Cinq parcours vélo, d’une vingtaine de kilomètres chacun et réalisables en une après-midi, permettent de découvrir les routes sinueuses et les nombreux chemins qui longent le canal de Nantes à Brest et le Blavet.
Possibilité de locations de vélo classique ou à assistance électrique auprès des points de départ des circuits, dans les offices de tourisme de Pontivy communauté et Baud communauté. Les visiteurs peuvent se procurer gratuitement les parcours vélo auprès de L’art dans les chapelles, des offices de tourisme et les télécharger gratuitement depuis le site internet : www.artchapelles.com.
Photos réalisées par Laurent Grivet