Mettre en BD une pièce de théâtre est une chose rare. Quand cette pièce, Edmond, est la pièce de théâtre de la décennie, la gageure est encore plus difficile. Léonard Chemineau avec maîtrise et fidélité réussit ce passage de la scène au papier. Époustouflant.
Novembre 2017. Théâtre de la Porte Saint Martin. Les décolletés pigeonnants sont au balcon. L’amant se cache. Les portes claquent. Le public debout applaudit.
Novembre 2018: les traits de crayon serrent les tailles dans d’étroits corsets. La maîtresse dans une bulle exprime son désir: « Chhh … ». Les pages claquent au rythme d’une lecture effrénée. La critique est unanime.
Un an après le succès total de Edmond d’Alexis Michalik qui récolta cinq Molière, Léonard Chemineau réussit à la perfection l’adaptation en BD de cette pièce de théâtre au rythme endiablé et aux mille rebondissements. Pour les heureux spectateurs de la Porte Saint Martin, le pari aurait semblé impossible tant les effets de scène étaient multiples et joignaient un texte imposant à une mise en scène décapante. Mais la BD est décidément un art étonnant qui s’adapte à l’imaginaire comme au réel. Le spectateur devenu lecteur retrouvera l’intégralité de ses souvenirs de théâtre. Le lecteur comprendra la malchance qu’il a de ne pas avoir été spectateur.
La pièce de Michalik racontait la création de l’oeuvre majeure d’Edmond Rostand, le fameux « Cyrano de Bergerac » écrit en moins de trois semaines, alors qu’il est vrai, « Molière a bien monté Tartuffe en 8 jours ». Paris, décembre 1897, Edmond Rostand qui n’a pas encore trente ans vient de subir un terrible échec avec « La princesse lointaine ».
Ruiné, Edmond tente de convaincre un grand acteur en vogue de jouer dans sa future pièce, une comédie héroïque, en vers. Seul souci : elle n’est pas encore écrite. Faisant fi des difficultés drôles ou dramatiques mais infinies, Edmond se met à écrire cette oeuvre à laquelle personne ne croit mais qui deviendra la pièce préférée des français, la plus jouée jusqu’à ce jour.
C’est notamment à la richesse des personnages secondaires qu’Edmond dût son succès. Rosemonde la pâle épouse qui ne croit pas au talent de son mari. Constant Coquelin, acteur hâbleur, qui rêve de retrouver de la « gueule » dans un rôle sur mesure alors que toutes les portes se referment. Maria actrice pimbêche aux milles caprices et susceptibilités, capable de quitter le navire à quelques heures de la première représentation. Ce bruit, cette agitation frénétique sans repos, Léonard Chemineau a réussi par son dessin clair et classique a le restituer en mettant ses couleurs directes en page de manière sage au départ, comme pour poser le décor, avant d’insuffler un rythme effréné à ses dessins qui explosent et virevoltent pour jaillir notamment en deux double-pages magistrales.
Le lecteur se retrouve devant la scène, ébloui par des éclairages et des décors réalistes avant que le fond blanc des planches valorise des tirades inoubliables. Le contexte de l’époque est parfaitement restitué dans le dessin de lieux et de costumes magnifiés par la précision du trait. Alors comme au théâtre, les regards amplifiés par le coup de crayon sont faits pour être décelés au dernier rang. Comme au théâtre les gestes brassent impunément l’air. Comme au théâtre, quand la pièce est réussie, les vivats de la foule font se baisser les acteurs sous la lumière. Comme au théâtre, le lecteur peut applaudir dans son fauteuil.
Passer des planches aux planches, c’est que cette BD réussit à merveille avant que Edmond ne soit porté à l’écran, comme le prévoyait l’écriture initiale. Ce que la BD ne dit pas c’est le regard qu’aurait porté l’écrivain sur cette adaptation. On a bien une petite idée. Mais c’est la nôtre.
EDMOND une BD de Léonard Chemineau d’après la pièce de Alexis Michalik. Editions Rue de Sèvres. Parution octobre 2018. 124 pages. 18€.