BD : l’été à Kingdom Fields. Retourner avec ses deux enfants sur les lieux de vacances de sa jeunesse à la recherche de souvenirs et de sensations est le sujet apparent de cette BD unique et originale qui transforme le quotidien en poésie. À découvrir.
Quelle BD étrange. Très peu de mots, la plupart en anglais, volontairement non traduits. Et pourtant elle se lit comme un roman, avec des mots, des phrases que chacun construits dans sa tête pour émettre une véritable petite musique littéraire. C’est la forme particulière de cet ouvrage qui établit ce miracle. Les dessins, souvent petits et très nombreux, parfois plus de 40 cases sur une page, remplacent les mots. Ils donnent à voir et imaginer au lecteur qui y plaque ses propres impressions.
C’est un récit du quotidien, banal dans l’écoulement du temps, dans ses périodes de vacuité, dans ses petits riens qui font notre vie. On pense alors à Philippe Delerm et ses plaisirs minuscules. Un arrêt dans une station-service, l’installation dans un bungalow d’un camping, la visite de musées pour touristes sont les « actions » de l’histoire.
Un bunker abandonné sur une plage, un kiosque à jouets sont les lieux que découvrent une mère célibataire accompagnée de ses deux enfants. Elle souhaite retrouver une grotte de son adolescence et faire partager ses anciennes émotions à ses enfants. Son fils reste cloîtré avec son téléphone portable, ses jeux vidéo jusqu’à ce qu’il ouvre les yeux sur son environnement où vivent d’autres jeunes. Sa fille, moins âgée demeure plus proche de sa mère cherchant à comprendre ses ressentis, ses souvenirs dans une jolie connivence.
C’est tout, c’est peu et c’est beaucoup. L’essentiel est dans le découpage, les vignettes parfois minuscules, la bichromie changeante et la beauté des dessins au graphisme époustouflant. On lit lentement, on scrute la construction des pages, l’alternance des plans pour marquer le temps qui passe. On rêve. Les mouettes font « Kaarr, kaarr ». La pluie dessine de petites étincelles en atterrissant sur le sol. Le soleil descend lentement vers l’horizon éteignant les couleurs. Des oiseaux strient perpétuellement le ciel. Ainsi s‘écoule le temps dans le camping de Kingdom Fields.
Pas d’aventure, pas de suspense, pas d’attente particulière si ce n’est celle de tourner la page pour découvrir les pépites graphiques suivantes et même, la surprise d’une double page unique et magnifique. Jon McNaught, qui avait obtenu en 2013 le prix Révélation du festival d’Angoulême pour Automne laisse le silence s’installer et donne l’occasion au lecteur de remplir ces manques de sa propre expérience, de son passé personnel. Notre vie n’est pas toujours trépidante, inoubliable, les dessins au noir profond nous le rappellent comme cette photo ancienne retrouvée lors de la visite d’une tante oubliée depuis longtemps qui nous ramène à nos propres souvenirs les plus banals en apparence mais trame réelle de notre existence.
En une centaine de pages Jon McNaught nous invite à regarder notre vie avec recul, tendresse et délicatesse. Des qualificatifs peu usités aujourd’hui et pourtant si importants. Qui côtoient parfois le rien mais si souvent le tout.
BD L’été à Kingdom Fields de Jon McNaught. Éditions Dargaud. 104 pages. 18€. Sortie le 31 janvier 2020.
Dessin: JON MCNAUGHT
Scénario : JON MCNAUGHT
PUBLIC ADO-ADULTE – À PARTIR DE 12 ANS
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