Braque et Picasso inventent le cubisme. Mais pas seuls. Avant eux et autour d’eux des peintres, des journalistes, des critiques, des marchands ont créé les conditions de leur révolution picturale. La BD Les Aventuriers du cubisme leur rend hommage d’une manière pédagogique et intelligente.
Cela ressemble à un jeu. Neuf personnages en couverture, dont il faudrait trouver le nom. Le titre Les aventuriers du cubisme est là pour nous aider. D’entrée, au centre, trois pinceaux à la main, le nom du personnage est facile à trouver : Picasso sans aucun doute. À sa droite, avec ses gants de boxe, aucune hésitation: son alter ego dans l’invention du mouvement pictural : Georges Braque. Et puis la massive Gertrude Stein. Et à l’extrême gauche, barbe hirsute et chapeau , la silhouette de Paul Cézanne. Quatre, c’est un bon résultat. Mais les cinq autres ? L’affaire se complique. Pour les trouver il va falloir ouvrir la BD et lire les chapitres qui se consacrent chacun à un personnage particulier dans ce début de siècle parisien qui va faire exploser le monde de la peinture déjà passablement mis à mal par le mouvement impressionniste. La femme au chapeau de Matisse précède Les Demoiselles d’Avignon de Picasso qui succèdent aux Montagnes Sainte Victoire de Cézanne. En 10 années, les toiles explosent sous la couleur et la déstructuration
pour donner à voir, sentir et même toucher la réalité sans imiter la nature ! En refusant la perspective et les illusions.
Cette nouvelle manière de voir est au coeur de l’ exposition qui se déroule actuellement au Centre Pompidou (jusqu’au 25 février) consacrée au cubisme et à laquelle cette BD se rattache, profitant de l’alliance croissante entre BD et histoire de l’art.
Les aventuriers du cubisme sont dans cette dynamique. Avec Julie Birmant au scénario on est en terrain connu. Avec Clément Oubrerie aux pinceaux, elle signa le superbe triptyque Pablo consacré au jeune peintre espagnol, succès de librairie mérité. Cette fois ci c’est Pierre Fouillet qui se met au crayon et on ne peut écarter une ressemblance de trait avec celui de Oubrerie. Légèreté, trait dépouillé et riche, intégration réussies d’oeuvres connues et suggérées, rappellent, dans ce qu’il a de meilleur, le fameux Pablo. On est admiratif devant l’évocation de grandes oeuvres réduites au format d’un timbre mais parfaitement identifiables comme à l’évocation de salles monochromes explosant sous les couleurs de feux des oeuvres fauve ou impressionniste.
Cette BD trouve son originalité dan une double approche. Julie Birmant devient une intervieweuse d’époque, procédé lui permettant de rencontrer à St Paul de Vence, Matisse ou Max Jacob à Montmartre. Un subterfuge qui rend l’histoire vivante, simple et compréhensive. Par ailleurs, au delà du binôme archi connu Braque-Picasso, de la place essentielle dans la naissance du mouvement de Cézanne et de Matisse, l’ouvrage met en lumière des personnages moins attendus mais aussi instructifs. En dehors des marchands d’art dont l’audace et la clairvoyance seront essentielles, comme Ambroise Vollard ou Daniel-Henry Kahnweiler, une belle place est ainsi faite à des collectionneurs tel Wilhelm Uhde ou à des comparses de tous les jours : le Père Soulié, lutteur de foire, matelassier de métier qui vend sur le trottoir des toiles du Douanier Rousseau. Ou encore le Frère Sagot, brocanteur qui vendra le premier Picasso à Serguei Chtchoukine.
Les mouvements picturaux ne sont pas que des constructions intellectuelles élaborées dans des cercles intellectuels restreints. Ils sont aussi tributaires d’un marché, de presse, de ventes, de passeurs. Les Aventuriers du Cubisme un siècle plus tard rappellent combien l’évidence d’aujourd’hui était hier un combat et une incertitude. Même si le cubisme défini ainsi par le critique Louis Vauxcelles ne dessine aucun cube.
Il n’y a pas de cubes dans le cubisme ! Au mieux quelques maisons rectangulaires à Horta ou à l’Estaque !
Un paradoxe réjouissant pour une BD réjouissante. Et intelligente.
BD Les Aventuriers du Cubisme. Scénario : Julie Birmant. Dessins : Pierre Fouillet. Éditions Centre Pompidou et Steinkis. 110 pages. 18€.
EXPOSITION LE CUBISME
17 octobre 2018 – 25 février 2019
Le Centre Pompidou propose une traversée inédite et un panorama complet de l’un des mouvements fondateurs de l’histoire de l’art moderne : le cubisme (1907-1917).
Grâce à un parcours qui éclaire pour le grand public les concepts clés, les outils et les procédures qui ont assuré l’unité du cubisme, l’exposition met en lumière le caractère expérimental et collectif de ce mouvement dont l’esthétique révolutionnaire est à la fois la matrice et le langage même de la modernité.
Commissaires : Mnam/Cci, B. Léal, A. Coulondre, C. Briend.