Dans le Brésil de 1950, un jeune frère et sa soeur vont découvrir l’injustice et le racisme. Avec cette histoire de résistance modeste, mais touchante, deux auteurs inconnus signent un bel album, les Intrépides, aux dessins exceptionnels.
On se croirait dans le début d’un film néoréaliste italien. Une rue baignée de soleil. Un ballon de foot qui vole dans les airs. À la fenêtre une jeune fille qui appelle son frère pour lui demander de venir manger. Il manque juste les voix de Marcello et de Sophia. Cela sent l’Italie, la nationalité du scénariste Andrea Campanella, mais nous sommes au Brésil, à Sao Paulo, quelques mois avant la Coupe de monde de foot de 1950.
Le Brésil c’est le pays de Anthony Mazza, le dessinateur. Deux pays, mais un même univers celui des gens modestes dans l’après-guerre où l’on apprend que le pays des footballeurs Zizinho et Ademir, a envoyé 2500 hommes en Europe pour combattre le nazisme et que nombre de réfugiés italiens arrivés depuis, comme Mario, le jeune boulanger enfui de Turin, ont participé à la libération de l’Italie fasciste.
Vera, la jeune fille à la fenêtre, et son frère Luiz, vivent paisiblement avec leur père fatigué et usé, Jorge. Les pages renvoient à la modestie et la beauté d’un foyer paisible, où des natures mortes involontaires, sous la magie d’un cadrage et d’une lumière rasante, deviennent des instants magiques de sérénité. En six cases Vera achète des fruits et rentre chez elle. En six pages sont dévoilées la beauté et la poésie du quotidien.
Mais l’atmosphère est lourde dans les rues populaires où se préparent les premiers matchs de la Coupe du monde et s’affichent quelques films à voir au cinéma Maraba, dont Caiçara, premier film brésilien marquant. À Sao Paulo, règnent les phalanges d’extrême-droite qui veulent anéantir le jeune Mario symbole d’une immigration honnie. Ils s’allient, quand les évènements le nécessitent, à des patrons représentants d’intérêts privés opposés, comme par hasard, à l’intérêt commun.
Une tragédie familiale va faire irruption et fracasser les deux adolescents qui, privés de père, vont devoir affronter la réalité d’une vie sociale marquée par l’injustice, le racisme, la corruption. Ce contexte politique constitue la toile de fond d’un récit qui se veut une histoire de résistance des faibles contre les puissants. Un médecin généreux, un commissaire incorruptible, un syndicaliste courageux, vont être les alliés de Luiz et Vera.
Sur ce thème, Anthony Mazza apporte son immense talent inconnu jusqu’alors en France. Économe de dialogues, il laisse parler le silence dans des cases magnifiques, rehaussées d’aplats de couleurs chaudes. Deux mains serrées sur une jupe, un coin d’immeuble incomplet sur un fond de ciel bleu, une géométrisation de l’espace subliment un scénario traditionnel, dont on dirait qu’il s’efface volontairement derrière la performance graphique.
Les volutes blanches de cigarettes tracent une petite virgule sur les visages des hommes. Les chevelures de jeunes femmes forment des pelotes de laine donnant douceur et tendresse à leur visage. Deux oiseaux sur un lampadaire observent le spectacle de la rue. Une cagette de fruits hésite entre douce lumière et ombre. La beauté est partout sous le dessin de Mazza. Les cases se succèdent sous la forme de gaufriers qui guident la narration, remplaçant les mots inutiles, s’attardant sur la douceur d’un drap accueillant la tristesse d’un visage rond marqué par le deuil.
Avec cette nouvelle BD, les éditions Ici même poursuivent leur formidable travail de dénicheurs de talents étrangers : Acte de Dieu de Giacomo Nanni primé à Angoulême, Ada de Barbara Baldi avaient révélé les talents d’auteur(e)s italien(ne)s. Avec les Intrépides, elles nous font découvrir un nouveau scénariste transalpin et un exceptionnel dessinateur …. brésilien. Pour le plus grand plaisir de lecteurs ravis et comblés.