BD Les Pizzlys, magnifique fable naturaliste de Jérémie Moreau

Les Pizzlys narre l’histoire de trois jeunes frères et sœurs en Alaska. Jérémie Moreau livre un récit écologique intelligent et d’une rare beauté. Une des BD majeures de cette fin d’année. Féerique, onirique, fantasmagorique. Magnifique.

les Pizzlys BD

C’est une BD que vous êtes obligés de rencontrer. D’abord parce que sa couverture exceptionnellement belle et soignée se remarque de loin sur les tables de librairie. Ensuite parce que cette BD est hors norme par son histoire et ses dessins. Ne pas aller à la ligne, ne pas attendre la conclusion mais l’écrire de suite: cet album magnifique est incontournable.

On avait découvert Jérémie Moreau avec La Saga de Grimr (1). Il avait dévoilé avec talent son goût des étendues froides et sauvages, son intérêt pour les histoires fantastiques, sa capacité à magnifier la nature et à la coloriser de teintes plutôt sourdes. On retrouve tout cela avec Les Pizzlys mais il suffit d’ouvrir l’album à une page quelconque pour en percevoir toute la beauté et l’originalité de ce nouvel album. Le vert tendre et les ocres des montagnes estivales de l’Islande deviennent ici vert fluo et éclatant. Les aurores boréales sont transformées en écharpes évanescentes et les nuages cotonneux laissent place à des ciels immaculés vissés d’une plaque de métal bleu pur. Les rondeurs sont devenues épures. Tout est identique et tout est différent

Pourtant le récit commence sur le périphérique parisien, sans glamour et nature, avec Nathan, un jeune, conducteur Uber, chargé depuis la mort de leur mère, de sa soeur Zoé et de son petit frère Etienne. Ce jour de pluie, le GPS qui conduit la route, le cerveau et la vie de Nathan se détraque. Sans technologie tout part à vau l’eau. Une dernière cliente Annie leur propose de partir avec elle en Alaska dans un pays et une maison qu’elle a quittés il y a quarante ans. Comme un retour à la nature, aux origines, celles du lichen sur les arbres, du soleil couchant, des prizzlys, ce « mélange entre un ours polaire et un grizzly », signe du changement d’époque et du réchauffement climatique.

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Dessinateur de son temps, Jérémie Moreau nous raconte alors une fable, un conte plus exactement, écologique. Plus d’électricité, plus de consoles de jeu, cet appareil qui fait que l’on garde les yeux baissés. Le petit Etienne va substituer à la quête de son Zelda virtuel la chasse d’un porc-épic réel. Zoé va dessiner à côté d’une jeune indienne qui lui expliquera qu’« il suffit de dessiner pour voir qu’un monde nous sépare ». Nathan quant à lui va réapprendre à marcher, lui dont les chemins flottent dans sa tête, qui perd pied pour s’envoler dans le monde des cauchemars, dans le monde de l’ailleurs. Nathan qui se noie dans l’immaculé du ciel.

Pour quitter ce domaine aliénant, il faut que l’univers qui vous accueille soit agréable, beau. Jérémie Moreau dépasse ces adjectifs pour faire de l’Alaska un monde magnifié, celui des légendes, du “Temps du mythe” quand “rien ne distinguait un homme d’un saumon, un renard d’un corbeau” quand la Nature était unique et n’avait qu’un but: vivre ensemble et se perpétrer. Les pages alors explosent comme rarement, de beauté, d’images oniriques inoubliables, de rêves et de symboles. Tout est couleurs et silence. Avec Nathan on quitte le sol, on part vers l’infiniment bleu, bleu comme les glaciers qui fondent et entraînent des inondations. Avec Nathan on rampe sur le sol, comme les danseurs de Matisse, et on devient ours, messager intemporel des temps anciens, menacé par l’incendie de la forêt. Dans une double page sublime, on est pétrifié devant un caribou posé sur un bloc de glace et on a peur du mal que l’on fait subir à ce monde merveilleusement et simplement beau.

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Pour autant Jérémie Moreau ne se veut pas moralisateur, la dimension onirique du récit évite cet écueil et remplace le discours politique par la poésie des couleurs. Contrairement aux fables, le récit ne se termine pas une maxime mais par deux dessins métaphoriques d’une beauté et une poésie à couper le souffle. Le souffle d‘une nuée d’étoiles embrasant le ciel où trois personnages côtoient ours et Grande Ourse. Comme dans un rêve éveillé.

Les Pizzlys de Jérémie Moreau. Editions Delcourt. 200 pages. 29,95€.

(1) Editions Delcourt. Fauve d’Or à Angoulême 2018.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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