Deuxième opus de ce témoignage unique et puissant qui montre l’apprentissage de la souffrance et de la douleur dans les prémices d’une vie de femme. Implacable et nécessaire.
« Vous avez aimé le un, vous adorerez le deux », ce slogan publicitaire facile, on a pourtant envie de le clamer après la lecture de ce deuxième tome de Pucelle. Dans la BD précédente, Florence Dupré la Tour, explorait les affres de la petite enfance, quand on raconte que les garçons naissent dans les choux et les filles dans les roses, après que le papa ait mis la petite graine dans le ventre de maman. C’était autobiographique, direct, sans chichis mais sacrément efficace.
Dans ce second volet Florence a grandi, elle a treize ans, et commence sous son short, sa jupe, à naître d’étranges sensations, naturelles, normales, mais que des principes sociaux, culturels, moraux et surtout religieux, vont transformer en mal, dénigrement et surtout souffrances. La famille poursuit son histoire en Guadeloupe, mais toujours avec ses principes bourgeois, catholiques pour cinq enfants qui clament pourtant, pour les plus grands, ne pas croire en Dieu, mais à qui on continue, contre leur volonté d’infliger des codes stricts.
Cette fois-ci ce sont la masturbation, la pénétration, l’hymen, le sang, la douleur qui perturbent la jeune fille en train de devenir adolescente. Ce sont des interdits qui s’immiscent dans sa « grotte mentale » alors que la CHOSE devient au fil des mois son obsession terriblement désirée et terriblement réprouvée. Florence frappe fort et on est mal l’aise quand elle met en dessins une vidéo qui lui a été proposée comme à ses copines d’école, censée démontrer l’assassinat d’un être que constitue l’acte d’avorter, mais qui oublie simplement de préciser qu’il ne s’agit alors que d’un « amas de cellules ».
Son dessin et son trait que l’on croit efficaces pour raconter des histoires à la Reiser ne font qu’accroitre les cris de douleur. Utilisant les métaphores graphiques, la dessinatrice nous fait plonger avec elle dans son mal être, sa solitude. La force de ce récit réside dans une narration à hauteur d’enfant, ce récit de petite fille qui multiplie les couettes pour dissimuler à ses propres yeux la CHOSE, omniprésente. Personne dans l’entourage ne voit la détresse, le chagrin, et le portrait du père, silencieux et inexistant est féroce. Les souvenirs sont précis, marquants, indélébiles et n’en conservent que plus de force et de véracité. Pourtant tout pourrait être tellement plus simple. Il suffirait de dire, d’expliquer, pour que l’apprentissage de la sexualité, de l’acte sexuel, ne se fasse pas en découvrant les pages, même géniales, d’un album de Gotlib, revisitant à sa manière des contes pour enfants.
À plus de quarante ans l’autrice règle ses comptes et n’hésite pas à hurler sa colère, contre son grand-père raciste, son père qui offre un robot dernière génération à l’anniversaire de son épouse, à une société patriarcale qui réduit la femme à l’état de potiche, transparente, chargée de la seule perpétuation de l’espèce. Le récit est au scalpel, taille dans le vif, là où cela fait mal, sans concessions. Cette BD peut être lue par toutes les adolescentes qui trouveront un réconfort pour briser le silence. Par les femmes aussi qui reconnaitront des moments de leur histoire personnelle. Par les hommes enfin qui comprendront mieux leurs compagnes et contribueront à modifier le futur des adolescentes et adolescents. Une BD salutaire, un cri du coeur authentique et nécessaire. Une invitation à parler, expliquer, dire.