Dans une BD fleuve et imposante Teresa Radice et Stefano Turconi nous livrent un album dense sur le courage de vivre et sur la différence. Notamment mais pas seulement. Attention BD hors norme.
Une collection qui s’appelle « Treizeétrange », un format inhabituel pour une BD avec 320 pages denses et serrées, des pages entières de textes comme dans un roman, une balade dans le temps entre 1930 et nos jours ….. Autant de pistes surprenantes dans ce livre foisonnant qui déclame que « la vie c’est ce qui arrive quand on a d’autres projets. » Car ce roman graphique est avant tout une histoire de vies.
C’est l’histoire d’une émigration de Gênes vers l’Argentine en 1933 quand le poids du populisme se manifeste en Europe mais c’est aussi une émigration de Syrie vers Lampedusa quand la folie religieuse s’empare des régions qui constituent le berceau de notre civilisation.
sur l ‘héritage, sur la façon dont on gère ce qui nous a été transmis… et sur ce qu’on laisse à notre tour.
C’est l’histoire d’un Amour minuscule, cet embryon qui pousse dans le ventre d’Iris (qui ressemble étrangement à Sophie la petite fille d’Antoine dans Les Vieux Fourneaux) et qui va attendre le possible retour de son père, parti une ultime fois en Syrie pour dire au revoir à sa famille.
C’est l’histoire, qui s’entremêle de religions, de questionnements de la Foi face aux atrocités du monde, de tolérance. Du droit au doute et à la solitude.
C’est l’histoire de personnages étonnants, attachants, liés les uns aux autres par leur extravagance ou leur empathie. Maïté, une mère inconséquente, volage, fantasque, qui cache derrière sa vie hors des murs de lourds secrets passés. Ale, l’ancienne colocataire devenue plus qu’une amie, une soeur qui apporte réconfort et lucidité quand l’absence de l’être aimé devient incertaine. Saul, religieux (inspiré du père Paolo Dall’Oglio, enlevé en 2013 à Raqqa par les djihadistes de Daech), perdu dans le désert, point d’ancrage pour les réflexions existentielles qui animent les hommes et les femmes perdus dans leur vie personnelle ou devant l’actualité du monde. Mais aussi Malik, le compagnon d’exil qui n’arrivera jamais sur les côtes italiennes. Ou encore Janis et Linda, couple uni qui transforme les beautés de la montagne en lieu de bonheur simple.
C’est l’histoire d’une glycine violette qui éclaire la page 9, ouvrant le livre sur la lumière éclatante d’une maison, close depuis des décennies mais c’est aussi l’histoire de peintures religieuses dissimulées dans l’obscurité d’une église syrienne que trois bougies éclairent: une chacune pour « ceux qui sont partis, ceux qui restent et ceux qui viendront ».
Amour minuscule c’est tout cela et beaucoup d’autres choses encore. Teresa Radice et Stefano Turconi, mariés dans la vie de tous les jours, ont bouleversé les codes et les genres pour cette BD à nulle autre pareille. Teresa raconte et Stefano dessine. Auteur notamment du Le Port des Marins Perdus, ils associent cette fois ci des morceaux de vie personnelle à l’Histoire pour raconter un récit inracontable. Par une construction subtile, et parfois déconcertante, ils élaborent peu à peu un gigantesque puzzle où s’emboîtent parfaitement les destinées de personnages tous attachants et profonds. Poésie, amour, tolérance sont les maîtres mots de ces pages et leur universalité nécessite bien de la part du lecteur un peu de patience, de réflexion. La beauté des dessins l’aide à appréhender ce que de longs textes expriment parfois avec un peu trop de facilité ou de naïveté. Mais un rayon de soleil sur les montagnes désertiques suffit à gommer ces rares défauts.
Découpé en phases de Lune, associées à la beauté de la calligraphie arabe, on voyage de Gênes en Argentine, d’Alep à au Haut-Adige, de la verdoyante montagne à l’aride désert. On accompagne Iris qui s’est promenée tout au long de son enfance et qui a retiré de ses périples une grande curiosité intellectuelle et une vision tolérante des différences.
Entre la certitude et le doute, l’espérance et le désespoir, le beau et le laid, l’amour et la haine, les auteurs ont choisi mais ils n’assènent à aucun moment leur choix. Ils utilisent différentes époques, différents lieux, différentes cultures et toute la palette des mots et des couleurs pour vous expliquer tendrement et calmement leur idéal de vie.
Amour minuscule est donc l’histoire d’une BD hors norme. L’histoire d’un roman fleuve qui s’écrit avec des mots et des images. L’histoire de la vie. Et la vie est complexe. Et douloureuse. Mais parfois magnifique. Teresa et Stefano nous la montrent telle qu’elle est.
BD Amour Minuscule de Teresa Radice (scénario) et Stefano Turconi (dessins). Editions Glénat. Collection Treizeétrange. 320 pages. 27€.