À Rennes, l’ancienne Brasserie installée au cœur du quartier Saint-Hélier a (enfin) ouvert ses portes le 6 octobre 2021 (en toute discrétion). Les trois espaces qui le constituent sont au service des habitants et de la vie de quartier à travers la volonté affichée de brasser collectifs, entreprises et associations.
À Rennes, au cœur du quartier Saint-Hélier et à deux pas de la gare, un bâtiment emblématique incarne à sa façon, par son histoire et sa modernité, la question de la requalification dynamique de structures laissées ou promises à l’abandon. L’ancienne brasserie industrielle Kronenbourg, dont il ne subsiste que la halle d’embouteillage et le silo à malt, revit aujourd’hui dans un nouveau projet architectural afin de contribuer à la vie du quartier et favoriser les échanges entre ses habitants.
Secrets d’histoire
Tout débute en 1872 lorsque Jacques-Joseph Graff, accompagné de trois comparses, achète un terrain rue Saint-Hélier et y installe une brasserie. Acquise par Kronenbourg en 1986 et connue sous le nom de Brasserie Graff, Brasserie Rennaise ou bien encore Brasserie Kronenbourg elle dynamise tout le quartier de Saint-Hélier. Elle sera fermée en 2003 et en partie détruite. Ne subsisteront que le silo à malt, le château d’eau et la halle d’embouteillage. Répertoriée au patrimoine d’intérêt local, cela n’empêchera pas sa désaffectation. Elle devient alors terrain de jeu pour les graffeurs rennais qui rivalisent pour habiller les murs de l’ancienne usine.
En 2016, l’opérateur de services urbains Citédia, propriétaire du site et porteur du projet, lance un appel à candidatures auquel les cabinets d’architectes Guinée-Potin et Le Labo décident de répondre. Les deux agences avaient déjà par le passé concouru ensemble sur un projet à la Courrouze où ils avaient terminés deuxième. Les deux agences sont conquises par l’histoire et le potentiel de l’ancienne brasserie. Retenu pour passer l’audition, ils prennent un risque : celui de ne pas répondre au cahier des charges stipulant la restructuration de la Halle en différentes salles accueillant des bureaux. Pour Véronique Cornillet, Anne Flore Guinée et Hervé Potin qui travaillent main dans la main à l’élaboration du projet, il est hors de question de toucher à la halle :
« On a eu un tel coup de cœur on s’est dit qu’il fallait qu’elle reste vide, comme elle est», explique la gérante du Labo, véronique cornillet
La Halle de la Brasserie, une cathédrale des temps modernes
Point central de la brasserie, l’ancienne salle d’embouteillage, appelé communément la Halle, présente une structure légère et aérée aux nombreuses ouvertures qui soulignent la finesse des supports et du squelette de l’édifice. Il semblait évident pour les cabinets d’architectes de la conserver dans son état d’origine sans la dénaturer. Un parti pris lors de la présentation du projet qui va porter ses fruits. Retenues à l’issue de l’audition, les deux agences gèrent la maîtrise d’œuvre de toute la globalité de l’édifice.
« QUAND ON EST ENTRÉ DANS LA HALLE AVEC MON COnfrère, IL Y AVAIT UNE BELLE LUMIÈRE, C’ÉTAIT MAGNIFIQUE. ÇA FAISAIT UN PEU CATHÉDRALE, QUELQUE CHOSE DE TRÈS FIN. LE BÉTON ÉTAIT superbe ET LA STRUCTURE TRÈS FINE »
Cette volonté de conserver la beauté de l’ancienne brasserie se ressent dans toute la manière de réhabiliter le lieu. Les isolations thermiques et phoniques nécessaires s’effectuent tout en finesse, sans occulter les poutres et le plafond préexistants. La dalle en béton trop abîmée est détruite puis reconstruite afin que le bâtiment soit le mieux isolé possible. Le blanc de la Halle redonne de son cachet au lieu grâce notamment au jeu d’éclairages. Enfin, l’extension prévue pour abriter les nouveaux bureaux vient chatouiller la Halle de sa structure bois.
Adjoindre une extension à l’édifice n’est pourtant pas si simple. Il faut penser avec détail la forme de cette extension pour qu’elle laisse respirer la Halle. Le choix est fait d’une ossature en bois, matériau qui contraste avec le reste de la construction. Elle s’insère avec grâce sur le Mail Louise Bourgeois et assure un confort intérieur. Le projet est complexe, avec un réel travail effectué sur la question de la ventilation et des ouvertures.
Il s’agit d’un projet avec uniquement de la ventilation, autrement dit sans climatisation, ainsi que de grandes ouvertures sur trois côtés qui aèrent et illuminent les lieux. Il ne faut pas oublier aussi le choix de laisser visible l’ossature et les éléments constructifs de l’extension de la Brasserie. Pour Guinée-Potin et Le Labo le système constructif est beau ; il ne s’agit pas de le cacher. Ce qui est dessiné, c’est ce qui va être vu et donc ce qui fait partie du projet. Rien n’a été caché par des faux plafonds ou des artifices. Un autre parti pris qui fait écho à la Halle très dépouillée, le tout dans un esprit industriel qui respecte l’identité de l’ancienne brasserie.
Insérée avec finesse dans le paysage, cette extension ne dénature en rien les vieux bâtiments et s’accole subtilement à la Halle qu’introduit un porche. La fluidité des espaces est palpable. L’entrée introduit à l’édifice avec harmonie, authenticité et symétrie, dans la veine d’un porche de temples grecs. C’est un élément qui, dès le départ, faisait partie du projet et dont la présence ne sera jamais remise en question. Enfin, la cohérence entre les espaces est aussi assurée par la présence de la chape quartzeuse au sol (chape traditionnelle, avec une finition lisse au quartz par application d’un coulis de quartz / ciment étalé sur la chape, ndlr source), qui crée une continuité visuelle et matérielle unique.
Un vaste projet fort complexe
© Mattie Levoyer – Guinée*Potin © Mattie Levoyer – Guinée*Potin
Débuté en 2016, il aura nécessité de longues discussions entre les différents acteurs présents sur le projet. Pour les deux cabinets d’architectes qui ont toujours travaillé main dans la main, défendu un projet au service des habitants, le chantier n’aura pas toujours été de tout repos tant le nombre de personnes à vouloir donner son avis sur le futur de l’ancienne brasserie aura été important… Plusieurs esquisses et avant-projets, notamment les maquettes relatives aux volumes du projet, ont abouti à la belle réalisation que les Rennais connaissent aujourd’hui.
«Un grand nombre de personnes est venu nous voir pendant le chantier. Quand on a expliqué le projet la réponse générale était : “Ah bah il est temps ! “ Les gens étaient désolés de voir la halle ainsi. C’était à la fois de la peur et de l’inquiétude », Relate Véronique Cornillet architecte et GéRANTE du Labo.
Entre le début et la fin du projet, les deux agences d’architectes sont rejointes par des compétences complémentaires qui poursuivent la transformation de ces lieux laissés bruts. C’est le cas avec l’agence Quinze Architecte qui s’occupe de l’aménagement des bureaux. Aujourd’hui, l’espace conçu en open space a été recloisonné afin d’accueillir différentes pièces et salles. C’est aussi le cas lorsque la restauratrice de la Cantine fait appel à sa propre décoratrice. Et l’intervention de l’association les Zarmine qui a procédé à l’aménagement du restaurant.
Nonobstant plusieurs hésitations relatives au cap à suivre dans le réaménagement du lieu, c’est toujours vers le projet des deux agences que la collectivité retourne. Car les architectes ont le soutien de plusieurs acteurs. C’est le cas de Valérie Lebrun, architecte et urbaniste de la Zac pour l’atelier Philippe Madec, qui soutient le projet de A à Z, mais aussi de Sébastien Sauvaget, chef de projet chez Territoires, qui a joué un rôle moteur dans le déroulement du projet.
Un résultat qui n’est pas de la petite bière…
La Brasserie Saint-Hélier est inaugurée le 6 octobre 2021 (avec très peu de communication). Son aménagement autour de trois grands espaces semble satisfaire les habitants.
- La Halle, grand espace de 620m2, est destiné à être un lieu d’accueil et de discussions pour les associations, citoyens, collectifs, autour de la question des transitions sociales et écologiques du territoire.
- La Cantine, 120m2 à la fois micro-brasserie et restaurant, est appellé à valoriser les accords mets-bières et la cuisine locale autour de rencontres avec des producteurs, événements culinaires participatifs…
- L’extension baptisée Le Studio, 580m2, abrite des bureaux et des espaces communs.
La discrétion de l’intervention architecturale des architectes aura conduit à une insertion souple et en douceur du nouveau bâtiment dans le paysage. La Halle a retrouvé son caractère d’origine avec une patine toute neuve. L’extension quant à elle semble toujours avoir appartenu au lieu. Finie l’idée de créer une architecture-objet surchargée d’artifices. La posture des architectes se distingue d’une époque révolue où l’architecture se montrait plus ostentatoire. La connexion avec le quartier est restée la priorité des architectes qui ont élaboré leur tracé au profit d’un quartier et de sa population. La brasserie Saint-Hélier : un lieu désaffecté qui accueille désormais de nouvelles fonctions avec une utile élégance.
La Brasserie (Quartier gare/Saint-Hélier)
Mail Louise Bourgeois
35000 Rennes
Retrouvez l’historique et l’évolution des travaux de réaménagement de La Brasserie. On regrettera sur ledit site la quasi absence d’informations pratiques.
Pour les férus d’histoire, n’hésitez pas à consulter les collections du Musée de Bretagne, voici quelques photos de la brasserie Graff, numérisées par l’équipe du musée :