Café culturel de Rennes, La culture, service public ? (oui, mais…)

Le 26 juin s’est tenu au café des Champs libres un Café culturel consacré au service public en matière de culture. Cet échange entre quatre intervenants devant un public relativement large prenait place dans le cadre des États généraux de la culture de la métropole rennaise initiés par Benoit Careil. Ces Assises consacrées à la politique culturelle de la Ville de Rennes se veulent, depuis leur lancement le 2 avril 2015, une démarche de co-construction entre politiques, acteurs de la culture et habitants de Rennes. Ce Café culturel du 26 juin se sera soldé par une contre-performance.

 

L’évènement invitait les citoyens au débat autour des réflexions de quatre intervenants qui représentaient différents pans de la vie culturelle de notre ville et de notre République. C’est Raymond Paulet, conseiller technique au TNB, qui a débuté en rappelant les difficultés actuelles du secteur de la culture en France. Si Manuel Valls a récemment déclaré que « cela a été une erreur au cours des deux premières années du quinquennat de François Hollande de baisser le budget de la Culture » et que le budget de la culture serait maintenu, le secteur souffre fortement des restrictions budgétaires. Plusieurs festivals sont condamnés à mourir. En pratique, selon Emeline Jersol, médiatrice culturelle de Valenciennes, ce ne sont pas moins de 48 structures qui ont disparu depuis janvier 2015. (Un chiffre en constante évolution à en croire l’état des lieux suivant.)

Le secteur, au grand dam de Jean-Luc Masson, apparait bien trop souvent comme une variable d’ajustement. Pour un secteur dépendant à 70 % des financements de l’appareil étatique, la problématique du service public de la culture est alors déterminante. Quand elle cesse d’être vue comme un investissement, un service, mais comme un coût, alors le bât blesse. Le désengagement de l’État n’est alors plus seulement financier, mais symbolique, la culture est dès lors perçue comme une charge, voire un fardeau.

rennes cultureToutefois comme l’a rappelé et expliqué Marion Denizot, maître de conférences en Études théâtrales à Rennes 2, la culture est bel et bien un service public. Un service qui aura d’ailleurs eu du mal à s’implanter. Dans les années 30, ce qu’on appelle désormais « monde de la culture » ou « politiques culturelles » était de fait plutôt mal perçu : « les gens allant s’encanailler au théâtre… » Il faudra attendre les années 50 et Jeanne Laurent pour que la culture s’implante comme dimension à part entière du service public, du vivre ensemble et du développement de consciences politiques citoyennes et éclairées. Un service qui fut dès lors logiquement financé par la contribution fiscale. Un financement qui appelle logiquement un certain « retour sur contribution », une certaine « efficacité », une cohérence entre « moyens et résultats » – ce qui est parfois mal compris par certains acteurs culturels. De fait, nombre de ces derniers considèrent qu’il ne s’agit « pas d’être à la botte du financeur, mais de s’engager le plus possible » afin de faire avancer les politiques culturelles et leurs impacts sur les citoyens et l’évolution sociétale. Comprendre la culture comme service public ne se réduit donc pas à une seule question de performance, mais aussi d’actions non évaluables ni quantifiables auprès de la population, particulièrement de la catégorie des « publics éloignés de la culture » qui en ont besoin pour se construire une conscience citoyenne. On le voit : l’équilibre entre ces deux impératifs est difficile à trouver…

En réalité, « la baisse des subventions n’est que l’arbre qui cache la forêt », affirme Jean-Luc Masson. Pourtant, de facto, c’est ce sujet des baisses qui domine les échanges de ce Café à l’instar des débats des États généraux de la culture depuis leur lancement ; et ce, en mettant de côté nombre de réflexions pourtant essentielles comme les modes de répartitions des aides (tout au moins celles qui restent), la coconstruction locale, la transversalité, les nouvelles expressions artistiques, la place des NTIC et du Web, le statut des intermittents, la redéfinition des politiques culturelles en zone prioritaire après 30 ans d’échec, le clientélisme qui conduit les élus à favoriser tel ou tel acteur culturel au détriment d’un ou de plusieurs autres, sans parler des dissensions sclérosantes entre élus dont la Ville et la Métropole de Rennes nous donnent en ce moment un affligeant spectacle avec la guéguerre de tranchées entre Sylvie Robert, Sébastien Sémeril et Benoît Careil.

Bref, au demeurant, les différents acteurs culturels doivent faire mieux avec moins dans des contextes politiques peu ou prou favorables à leurs actions. On aperçoit les premiers effets de cette nouvelle donne avec des institutions qui se tournent résolument vers d’autres modes de financement. C’est le cas notamment du théâtre de l’Odéon (pourtant le plus financé de France) qui fait désormais appel au crowdfunding. Mais aussi à des entreprises privées. Une intervenante conclut à juste titre que l’on semble retourner à un mécénat à l’ancienne, avec un rapport financier et individuel plus marqué entre l’artiste et son mécène.

états généraux subventionsLa discussion poursuit la question de la valeur, de la valeur d’échange des pratiques culturelles. Il se dégage une tendance grandissante à exiger de toujours plus de prestations aux artistes « en compensation » de la rétribution. Or, si les donneurs d’ordre demandent aux artistes de nombreuses prestations,  selon Arnaud Stephan, metteur en scène et acteur : « l’artiste n’a pas d’autres missions que celle qu’il veut se donner ». Il y a donc dans cette optique de nombreuses réflexions à mener pour redéfinir le service public culturel en matière de relation entre ses différents acteurs : son articulation, sa forme, voire sa nécessité. Là encore, quel équilibre trouvé ? D’ailleurs, au vu de la complexité et de l’enchevêtrement des intérêts, ne vaudrait-il pas mieux tout remettre à plat, tout redéfinir ?

De concert, les différents intervenants regrettent l’absence d’une politique culturelle ferme et décidée. Il n’y aurait ainsi – selon Jean-Luc Masson – « pas de dynamique, pas d’envie et pas d’élan » dans les politiques culturelles implantées par l’État. Quant aux collectivités et politiciens locaux, il en va de même : les propositions des États généraux de la culture selon lui  ne sont pas le fruit d’une confrontation d’idées mais juste d’une consultation. La culture semble de ce fait peu à peu abandonnée, reléguée à un rôle obscur, au lieu d’être le topos central.  Plus généralement, il n’y a plus de finalité en matière de sens ; et, en pratique,  les collectivités laissent (quasi)tout le monde se débrouiller. Autrement dit, il n’y a plus d’harmonie ni d’harmonisation. La question de la légitimité et de la compétence de l’État et de la décentralisation en matière culturelle est alors posée. Alors que les collectivités territoriales tendent, par transfert de compétences, à capter le service public culturel ; une fois fait, elles n’en maîtrisent souvent pas bien les tenants et aboutissants (d’autant que leur trésorerie ne tient plus la route).

Ce Café culturel – La culture : service public – n’était pas inintéressant bien que sans grandes nouveautés et, finalement, assez consensuel, voire conservateur, dans la manière de questionner un monde en pleine mutation et aux frontières floues et poreuses. Le public a également regretté un certain manque d’imagination, notamment dans les quelques rares pistes concrètes qui ont été évoquées. Il s’agissait peut-être, avant tout, d’une discussion entre soi de quatre acteurs du secteur culturel ; acteurs, semble-t-il, mécontents de le tournure et de certaines directions prises par les États généraux. À ce titre, le public a regretté la manière cavalière qu’ont adopté les intervenants pour clouer le bec à une personne du public. Cette dernière a osé poser la question d’une possible remise en question du fonctionnement de certains acteurs privilégiés du monde culturel dans un contexte économique nouveau, en rappelant que leurs revenus – parfois très élevés – étaient constitués à partir de l’argent du contribuable (le nom du TNB et de son dernier scandale financier est encore sur toutes les lèvres). Cette personne a enfoncé le bouchon en appelant le monde culturel subventionné à dépenser l’argent différemment, la culture ne devant pas se réduire à la vision idéologique d’un petit monde dominant et dominateur. Si sa question était particulièrement maladroite et certainement caricaturale, on regrettera qu’il ait été éconduit fort rapidement et de façon condescendante alors que son interrogation semble trouver un écho auprès d’une partie du public rennais et national. Etats généraux de la Culture versus Etat généreux pour une certaine culture…

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Nicolas Le Gall
Nicolas Le Gall est élève à Sc Po Bordeaux et stagiaire en web journalisme à Unidivers.fr

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