Raconter un monde qui disparaît : c’est ce que Robert Cottard, facteur, réalise avec Les Calendriers, se souvenant de ces moments de fin d’année où les étrennes ouvraient les portes des masures normandes sur des personnages hors du commun. Il trace des portraits tendres ou féroces de ces paysans vieillissants. Avec humour.
On y découvre parfois des plans de ville comme Dieppe ou Rouen. Ou bien des horaires des marées ainsi que la liste des départements français. Au recto, une tempête de noroît balaie le phare d’Ouessant. Au verso, un rouge soleil couchant explose sur la plage des Salines. Parfois il est accroché près de la cheminée. Ailleurs on le trouve dans la cuisine entre l’essuie-main et le crucifix. Collectionné, il arrive qu’il tapisse un mur entier, entassant sur quelques mètres carrés plusieurs décennies. Mais aujourd’hui, on le voit de moins en moins, il n’est plus là que par effraction, par oubli. C’est ainsi : le calendrier des Postes est en train de disparaître.
Pourtant pendant plus de 30 ans, Robert Cottard, facteur à Gonneville-la-Mallet, un bourg de 1500 habitants dans le pays de Caux, à quelques kilomètres d’Étretat, a porté en fin d’année ce miraculeux bout de carton dans tous les foyers de sa tournée pour récolter ses étrennes, susceptibles de lui offrir un nouveau mitigeur pour sa douche. Robert a exercé son métier jusqu’en 2000. Depuis il écrit. Et ce qu’il écrit et décrit dans son livre, ce sont ces rencontres au cours desquelles, une fois par an, chacun délivre son estime ou son amitié à l’aune de quelques piécettes ou billets. L’argent devient révélateur dans ce coin de France réputé pour sa pingrerie et ses non-dits.
On franchit avec Robert les portails souvent gardés par de terribles cerbères, on rentre dans de modestes cuisines pour boire avec lui une bolée de cidre ou un vin de l’année de sa naissance. Et Robert découvre peu à peu des secrets bien gardés. C’est qu’ils sont drôles ces « clients » qui montrent le jour où ils doivent ouvrir leur porte-monnaie, leur vrai visage. Et l’auteur les croque à sa manière avec un réel humour, des jeux de mots finement cachés et même quelques contrepèteries. Il a du recul notre facteur, celui de l’observateur connaisseur de secrets parfois oubliés et on pense aux dessins de Dubout où des matrones côtoient de maigres maris. Mais la tendresse pointe souvent le bout de son nez, car derrière des comportements répréhensibles ou peu sympathiques, à la manière d’une nouvelle, les dernières phrases d’un chapitre révèlent souvent une cassure ancienne, parfois douloureuse. Que seul le facteur connait.
Elle est brouillonne « La petite dame de Barbe Bleue ». Il est cynique le châtelain du bourg. Et Madame Fernande, si proche du Bon Dieu, ne fréquente pas que le confessionnal, mais aussi, à l’occasion, les fourrés. C’est toute une petite comédie humaine qui nous est ainsi proposée sous le regard indulgent d’un homme bienveillant et amoureux des mots.
On se dit souvent que nous sommes plus proches de l’univers de Maupassant que de celui du XXI ème siècle même si la 4 L de la Poste a remplacé la diligence ou le fiacre. Pas de nostalgie néanmoins ou de regrets. C’est ainsi, le monde tourne et Robert Cottard le regarde tourner en saluant à l’occasion ces personnages, sans les mythifier ou les doter de nobles sentiments illusoires. Robert regarde, écoute, écrit, décrit.
En refermant cet ouvrage plus révélateur souvent que des manuels savants de sociologie, on pense à ces publicités télévisées où l’on nous vante la proximité payante des préposés aux PTT, auprès des personnes âgées notamment. Et l’on se dit qu’il y a encore dix ans, elle existait cette proximité, gratuite et quotidienne. Sur le bord du portail en bois déglingué ou les mains sur une vieille toile cirée. Gratuite ou pour le prix d’un calendrier, un beau calendrier de carton que l’on accrochait pour un an au dessus de l’évier.
Les calendriers de Robert Cottard. Éditions de l’Olivier. mai 2019. 264 pages. 17,50€.
Retrouvez l’histoire des calendriers de la poste sur le site du Musée de la Poste ici.