Il y a 122 ans, le 30 décembre 1903, un incendie catastrophique éclate à Chicago, dans l’Illinois aux États-Unis, lors d’une représentation devant 1 700 personnes…
Chicago, un après-midi d’hiver. Le 30 décembre 1903, la neige poudroie sur les toits d’ardoise, les tramways tintinnabulent, et les enfants sont en congé pour les fêtes de fin d’année. Ce jour-là, le théâtre Iroquois affiche complet. Plus de 1 900 spectateurs, en majorité des femmes et des enfants, prennent place dans la plus grande salle de spectacles de la ville. On joue Mr. Blue Beard, une féerie musicale importée de Londres, une promesse de lumière et de magie pour oublier le froid et la grisaille.
Mais c’est une autre forme de lumière, brutale, incontrôlable, qui s’invitera dans la salle : celle des flammes.
Le feu entre en scène
Il est environ 15h15 lorsque, au-dessus de la scène, une étincelle électrique provoque l’embrasement d’un projecteur défectueux. Le feu, d’abord discret, lèche les décors suspendus. En quelques secondes, il s’élance vers les cintres, s’agrippe aux toiles peintes à l’huile, à ces rideaux qui représentent des palais orientaux, des jungles, des cieux étoilés. Les machinistes tentent de faire descendre le rideau coupe-feu. Il se bloque. Un souffle brûlant traverse alors la scène. Les acteurs fuient. La salle, elle, demeure figée un instant dans l’incrédulité.
Puis la panique éclate.
L’élégance pour l’éternité
Le théâtre Iroquois, inauguré à peine un mois plus tôt, se voulait le plus sûr et le plus luxueux du pays. Colonnes de marbre, balcons en ferronnerie, velours épais, dorures, escaliers majestueux. On y montait comme dans une cathédrale du loisir bourgeois. Mais tout n’était qu’apparat.
Les portes de sortie sont dissimulées, parfois verrouillées. Les grilles de fer décoratives censées « canaliser » les foules deviennent des pièges. Les balcons s’effondrent partiellement sous la bousculade. Les corps glissent sur les rampes, tombent les uns sur les autres. On crie, on s’étouffe. Le feu, lui, se nourrit de tout : bois, tissu, os, chair. Un souffle incandescent surgit des trappes techniques, projetant des flammes dans les hauteurs du théâtre. Certains spectateurs se jettent dans le vide depuis les étages, espérant échapper au brasier. Beaucoup meurent dans l’escalier, écrasés.
Des centaines de morts en habits de fête
À l’extérieur, les passants stupéfaits regardent sortir des enfants en feu, des mères les bras brûlés. Des corps sont déposés sur les trottoirs enneigés. On recouvre les victimes de manteaux. Les morgues débordent. Des gymnases, des écoles sont réquisitionnés pour aligner les corps. Les médecins pleurent en silence, incapables d’agir devant tant de défiguration.
Bilan final : environ 602 morts, dont des dizaines d’enfants. Le chiffre exact reste flou : beaucoup de corps ne sont jamais identifiés. Il s’agit encore aujourd’hui de la catastrophe théâtrale la plus meurtrière de l’histoire mondiale.
L’après : entre colère et culpabilité
Dans les jours qui suivent, Chicago est saisie d’une émotion muette, traversée de silences plus lourds que des discours. Mais très vite, la colère monte. On découvre que les normes de sécurité ont été ignorées : aucun exercice d’évacuation, portes de secours verrouillées, pas d’alarme, et des matériaux hautement inflammables partout.
L’architecte du théâtre, Benjamin Marshall, est incriminé. Les propriétaires plaident l’accident. Personne ne sera jamais condamné.
Mais quelque chose s’est brisé. Le théâtre, jadis lieu de rêve, devient tombe. On redéfinit les codes de la sécurité incendie dans les lieux publics : barres anti-panique, portes battantes vers l’extérieur, rideaux ignifugés, plans d’évacuation visibles. Le mot « irréprochable » ne pourra plus jamais désigner un lieu sans penser à ceux qui s’y sont immolés sans le vouloir.
Mémoire vive
Aujourd’hui, une plaque discrète sur Randolph Street à Chicago rappelle les faits. Le théâtre Iroquois fut rasé, remplacé par un nouvel édifice, mais l’émotion, elle, n’a pas disparu. Chaque année, des familles déposent des fleurs. Des descendants de victimes, parfois, lisent des noms dans la lumière pâle du matin. D’autres, anonymes, s’arrêtent quelques minutes. Comme si l’air portait encore un goût de cendres.
Le 30 décembre 1903, la beauté, la joie, l’enfance, furent englouties en pleine représentation. Et peut-être faut-il se souvenir de cela, toujours : que les feux de la rampe, s’ils ne sont pas maîtrisés, peuvent brûler bien plus que la scène.
Encadré pratique
- Lieu : Iroquois Theater, Chicago (Illinois, États-Unis)
- Date : 30 décembre 1903
- Nombre de victimes : environ 602 morts
- Conséquences : réforme nationale des normes de sécurité incendie dans les lieux publics
- Mémoire : Plaque commémorative au 24-28 West Randolph Street, Chicago
