Des Souris et des hommes, le chef d’oeuvre de Rébecca Dautremer

Les Classiques sont faits pour être lus et relus. Surtout quand ils s’accompagnent d’illustrations exceptionnelles. Alors relisez Des Souris et des hommes de Steinbeck mais magnifié par Rébecca Dautremer. Chef d’oeuvre.

Il est des livres, et particulièrement des bandes dessinées, comme des produits laitiers : ils sont vite périssables, les ouvrages devant se succéder sur les étagères des librairies pour laisser la place aux nouveautés. Pourtant certains titres conservent leur place longtemps sur les rayonnages. De qualité exceptionnelle, choyés par de formidables libraires qui se veulent alors des « passeurs », ils résistent au temps et deviennent des éléments du « fond », ces livres intemporels, hors des modes. Parmi ceux ci allez vite voir chez votre commerçant préféré s’il possède en réserve l’adaptation graphique du roman de John Steinbeck, Des souris et des hommes, publiée il y a presque deux ans désormais. Il faut dire que la forme déjà suscite admiration et émerveillement : plus de 400 pages d’illustrations pour raconter l’histoire de deux hommes, deux journaliers, mal assemblés mais inséparables : George le petit maigre, vif et intelligent, et Lennie, le grand costaud un peu bêta et lourdaud qui ont pourtant en commun le rêve d’un petit ranch tranquille, pour une vie tranquille et un travail tranquille. Une amitié et une loyauté comme rarement décrite dans la littérature.

des souris et des hommes

Associé au nom du romancier américain figure sur la couverture le nom de l’illustratrice, Rébecca Dautremer. Vous savez dès lors que vous pouvez ajouter à l’écriture, d’exceptionnels dessins. L’autrice est connue notamment dans le monde des albums jeunesse pour sa mascotte, le lapin Jacominus. Avec son héros amoureux, elle a relevé déjà de multiples défis graphiques comme le gigantesque, par la qualité et la taille, leporello, ce livre qui se déplie : Une toute petite seconde. Plus l’aventure est folle, plus Rébecca Dautremer prend plaisir à déployer les facettes de son immense talent. Sont ce justement les lapins omniprésents dans le roman, fantasmes de la petite ferme à acheter des deux amis, qui l’ont incitée à réaliser cette adaptation ? On ne sait mais Rébecca Dautremer utilise les milles facettes de son talent pour illustrer le récit. On ne craint pas dès lors de faire référence à Hopper pour la précision du trait et des bâtiments. On pense aux clairs-obscurs de Rembrandt pour montrer l’importance de la lumière dans le texte de Steinbeck. On songe aux photographies de Walker Evans ou de Dorethea Lange dans les portraits et scènes de rue. À Van Gogh et ses chaussures éculées. Et puis aux paysages de Turner, à Andy Warhol pour les fausses publicités des années trente. C’est beaucoup mais c’est ainsi.

des souris et des hommes rebecca dautremer

Le lecteur est emporté dans un tourbillon graphique qui réussit à suivre à la lettre le texte intégral et non modifié, sans le paraphraser mais en lui donnant une dimension supplémentaire. Les descriptions des personnages deviennent silhouettes, visages. Les dialogues deviennent scènettes. On est au cœur d’un western de l’intime mêlant personnages névrosés aux trognes inoubliables. Le dessin qui montre des fantasmes, des rêveries, devient métaphore supplémentaire.

Malgré cette diversité foisonnante le récit garde sa beauté d’origine et la structure des planches, leur répétition accompagnent chaque chapitre précédé de pleines pages que l’on comprend après lecture. Alors on reprend le livre, on regarde différemment des croquis, on les ausculte de près, on y découvre des détails ignorés précédemment. Et on s’émerveille une nouvelle fois des inventions de l’autrice comme ce moment fort après la mort du chien du vieux Candy que l’on abat car devenu inutile. Le vieillard au moignon apparaît alors à chaque dialogue le concernant allongé en double page et auréolé de rouge, rouge comme le sang de son animal perdu.

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Reste le récit universel qui a fait du roman de 1937 un classique de la littérature américaine par la simplicité de son histoire, le réalisme des dialogues. Sobriété, économie de moyens dans l’écriture rendent compte d’une formidable humanité. On est dans des univers clos, une chambre, une grange, une écurie, qui permettent de révéler la vie intérieure d’êtres brisés, en perdition et qui s’accrochent à des rêves de lapins bleus, verts ou rouges.

Lennie et George, ces personnages littéraires de légende ont maintenant un visage, une silhouette désormais inoubliables. Et inoubliés.

 rebecca dautremer

Des Souris et des hommes d’après Steinbeck. Adapté par Rebecca Dautremer. Editions Tishina. 420 pages. 37€. Parution octobre 2020.

A noter que les éditions Gallimard publient une nouvelle édition du roman traduite et préfacée par Agnes Desarthe.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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