Extra-Lucide : fardeau du super-pouvoir et grandeur de l’âme humaine

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Avec la mini-série extra-lucide, on pouvait s’attendre au prototype du pari casse-gueule : une héroïne télépathe, une idée de superpouvoir qui pouvait, au moindre faux pas, basculer dans le ridicule ou la parodie cheap. C’est exactement l’inverse qui se produit.

En six épisodes ramassés, d’une grande économie de moyens mais d’une précision d’écriture rare, la série de Bruno Merle et Emmanuelle Destremau diffusé sur OCS trouve une grâce inattendue. Une tonalité singulière. Une vérité douce-amère qui tranche avec les fictions françaises habituelles.

Denise, télépathe depuis l’enfance, ne possède pas un don, elle porte un poids. Le bruit du monde, amplifié jusqu’à la saturation. Les pensées des autres qui deviennent une menace plus qu’un révélateur. La série ne cherche jamais à « faire spectaculaire » ; elle s’enracine dans l’intime, dans la fatigue de Denise, dans sa manière de survivre plus que de vivre. Et c’est exactement ce manque de tape-à-l’œil qui la rend si convaincante. Cette sobriété du merveilleux, traitée avec une sensibilité presque naturaliste, permet à Extra-Lucide de parler de vérité, de masque social, d’authenticité, de fragilités ordinaires. Là où tant de productions super-héroïques s’effondrent sous leur propre ambition, celle-ci triomphe par son refus de la démesure.

La grande réussite de la série tient aussi dans la dynamique du duo — ou plutôt du trio — que forment Camille Rutherford, Sabrina Ouazani, et Daniel Lundh (son personnage est légèrement moins bien travaillé). Leur alchimie ne repose ni sur l’esbroufe ni sur le comique forcé ; elle s’enracine dans quelque chose de rare à l’écran, la bienveillance imparfaite.

L’amie, la soeur, Joy, porn star, refuge protecteur, incarne cette amitié solide qui maintient Denise debout. Le père, figure cabossée, rattrape sa fille au moment où il risque lui-même de tomber. Et autour d’eux, une galerie de personnages secondaires finement dessinés — jamais caricaturaux, toujours porteurs d’une humanité cabossée. On suit ainsi quelques semaines dans la vie d’êtres un peu en vrac, un peu perdus, mais en pleine transformation. Une transformation qui n’a rien du miracle. Elle ressemble plutôt à un sursaut tissé de petits gestes, de pardons silencieux, de vérités enfin dites.

Le huis clos relatif, loin de brider le récit, le densifie. Le travail sur la lumière, les focales, les transitions sonores et surtout la bande-son, étonnamment rythmée, donne à la série une signature propre, presque sensorielle. On sent que chaque plan a été pensé, optimisé, sculpté pour dire plus que l’image elle-même. Avec un budget modeste, Extra-Lucide crée un univers cohérent, incarné, étonnamment chaleureux malgré ses zones d’ombre.

Il y a, dans cette mini-série, quelque chose de profondément touchant. En somme, la conviction que l’humanité ne se trouve pas dans les pouvoirs extraordinaires, mais dans la façon dont on parvient — parfois avec peine — à rester debout, à rester loyal, à rester juste.

Extra-Lucide n’est pas seulement une réussite formelle. C’est une série qui redonne foi au récit intime, au pouvoir des relations humaines, à la possibilité de réparer ce qui semblait brisé. Une œuvre originale, chaleureuse, et surtout juste, qui prouve qu’avec une bonne idée, du cœur et des acteurs habités, on peut déplacer des montagnes sans les montrer. En un mot : une très belle surprise. Extra-lucide, évidemment.