Musicalement Faith No More a toujours été un phénomène complexe et difficilement définissable, jouant et jonglant avec tous les codes des musiques modernes et une imagerie culturelle urbaine floue et fluctuante (nouvelle preuve : leur prestation immaculée lors du Hellfest open air 2015). Les dix titres ultra-efficaces de Sol Invictus, leur nouvelle fulgurance discographique n’échappent pas à la règle.
Le titre de ce nouvel opus tout d’abord. Sol Invictus… Cela évoquera à certains un livre de Raymond Abellio, à d’autres d’abord le nom d’un groupe britannique de dark folk, ensuite, au plus grand nombre sans doute, l’un des théonymes appliqué au dieu perse Mithra dans la version romanisée de son culte…
Malgré cet appel à la haute religiosité de l’antiquité européenne c’est avec la chanson incroyablement ciselée, Motherfucker que le provocateur combo américain Faith No More à ouvert son étonnant set du Hellfest 2015… Sur une scène tendue de blanc et de fleurs aux couleurs pastels, les cinq maestros de la fusion ont investi le grand rassemblement des adeptes du noir, du sang et des têtes de mort en mode jaïn, bouddhiste pour asséner leurs invectives soniques à un public conquis d’avance (malgré les provocations « à l’envers » de Mike Patton : « fuck the Hellfest, we gonna put some heaven into hell… and you’re gonna like it ! »).
Leader of men, leader of men… Will you be one of them ? “Superhero”, Faith No More
Ce show fut à la démesure de leur nouvel opus, à moins que ce ne soit le contraire… Avec ces « passés maîtres » en contradictions fusionnelles qui peut savoir… ? Depuis l’arrivée de Mike Patton (Mr. Bungle, Fantomas, Secret Chiefs 3…) au micro en 1989, Faith No More n’a cessé d’invoquer le génie moderne du grand mélange. Mais l’esprit réfractaire du groupe eut toujours raison de ses plus fastidieuses et commerciales exigences et, plus de vingt ans après ses trépignants débuts, l’énergie kaléidoscopique démentielle ne se dément pas. Précurseurs inventifs les cinq de Faith No More ont toujours su échapper aux évidences, aux facilités piégeuses qui feront l’écueil de leurs suiveurs (crossover, fusion, nu-metal…).
Sol Invictus, septième album du groupe en plus de vingt ans d’existence (et plusieurs séparations et reformations), scelle l’excellence de ces devanciers de la fusion devenue « style » et « genre » musical. D’un bout à l’autre cet album affirme, confirme et affine la marque Faith No More. Si la technicité et le son tatillon sont bel et bien présents, éléments essentiels, stratégiques mêmes, ils ne dominent jamais l’inventivité et l’émotion. C’est, d’ailleurs sans doute là la marque principale de ce septième opus… Émotion, technique et énergie trouvent enfin un savant équilibre. L’aspect parodique et démonstratif s’amenuise pour trouver une alchimie peu commune d’alliance ambivalente. Le groove rageur est là, l’énergie titanesque du metal ne faiblit pas, les mélodies entêtantes ne se laissent en rien masquer, elles surnagent en s’intégrant, les refrains qu’ont retient du premier coup s’affirment alors que les développements classicisant du piano et des claviers se font plus présents, plus harmonieux… Ainsi du tubesque Sunny Side up aussi solaire qu’innervé, funk impertinent et metal crissant hanté par le chant mutant d’un Patton au meilleur de sa forme, passant du style crooner plombant à l’hystérie funk-punk la plus volcanique, jusqu’au lyrique énervé et grinçant Superhero…
On mesurera en outre l’influence colossale du génie perturbateur de Faith No More dans la pyrotechnie cosmique de Matador qui, sans rien trahir de l’essence première du groupe, a des accents d’un Arcturus sous amphétamines ! Pour ne rien dire des sombres et lourdes vibrations des extatiques (et pourtant si entraînants) Separation Anxiety, Black Fiday et du déjà cité Motherfucker…
Réussite absolue et exaltante de la fusion des contraires Sol Invictus s’impose comme l’amcé d’un voyage à travers l’éther brûlant et quintessentiel du vaste panel des états multiples de l’être musical à la jonction des XXe et XXIe siècles !
Crédit photo : Mike Patton, Hellfest 2015 : ozirith.com