Le personnage de Marc (ou Marco) est superbement et sobrement interprété par Alban Lenoir dans le film Un Français de Diastème alias Patrick Asté. En salle depuis le 10 juin, ce long métrage engagé suit un jeune homme à travers les pérégrinations sociales et politiques : de sa jeunesse brutale à sa maturité. Un cheminement de 20 ans qui colle peu ou prou à la trace du FN dans notre pays. Quand le skinhead français connait la rédemption…
Marco est un skinhead excellemment incarné par Alban Lenoir. C’est un jeune de la banlieue parisienne des années 80, désœuvré et asocial, évoluant au sein de la mouvance d’extrême droite. Il est toujours prêt au coup de poing et à la baston avec ceux d’en face, pêle-mêle : les gauchos, les redskins et les immigrés. Son existence évolue entre un flirt avec la petite amie de son meilleur pote, incarnée par une remarquable Jeanne Rosa et quelques lampées de soude caustique administrées à un Africain.
Socialement, Marco est un déclassé sans espoir, un « petit blanc », père malade, accroché à son oxygène et à sa clope, mère éteinte : « No future ». Son seul moyen d’existence et d’apparence en réponse au mépris social est la violence exacerbée. En particulier à l’égard de personnes qui ne vivent pas bien différemment de lui, un nihilisme de l’altérité en quelque sorte… On n’est pas loin d’une certaine représentation du lumpenprolétariat chez à Marx en tant que frange de la société qui devient un outil de répression parce qu’elle ne dispose d’aucune culture politique et, souvent, d’aucune culture tout court.
En 1934, on aurait retrouvé Marco chantant le Horst Wessel Lied sur Unter den Linden à Berlin ou, une décennie plus tard, avec l’habit noir de la Milice française qui a beaucoup recruté dans cette frange de la population : on ne peut s’empêcher de penser à Lacombe Lucien qui voulait être résistant et finit gestapiste se sentant ignoré de ceux qu’il voulait rejoindre… Sous d’autres latitudes et d’autres idéologies, il aurait pu être tchékiste, Khmer rouge, exécutant communiste de basses œuvres, etc. C’est un certain type psychologique et psychique qu’il incarne. Ainsi va la vie de Marco entre collages d’affiche ultraviolents, teufs skinheads alcoolisées et misère sexuelle…
Petit à petit, toutefois le doute s’installe. Il croise un regard qui ne cède pas à la bêtise ; un regard qui le trouble, un regard qui en crée lui un malaise. Voilà la rencontre avec un homme un peu seul aussi qui l’aidera et l’accompagnera au cours des années à venir. Alors que le recours à la violence empire en lui et s’aggrave autour de lui : meurtres de Comoriens, lynchage d’immigrés en cours de manifs FN, Marco est envahi par la nausée. Une nausée, dont parle notamment Sartre, qui le conduit à fuir son milieu ; ce qui ne se fait pas sans brûlure…
Pour ne pas dévoiler plus avant ce film, on dira seulement que Marc(o) va devenir militant d’une association caritative. Non indemne de souffrance, mais intégré et ayant pris conscience de la valeur d’autrui, c’est un cheminement non tracé qu’Un Français donne à voir. Mais ces anciens potes supporteront-ils son évolution ?…
Le portrait – radical – de Marc est à l’évidence celle d’une certaine jeunesse acculturée des classes modestes, voire pauvres. Une jeunesse qui se sent en décalage, abandonnée et soumise à une certaine indifférence, voire au mépris social. C’est dans cette frange, autrefois mobilisée majoraitrement à gauche que se situent ces citoyens hors classe qui sont attirés aujourd’hui par les chantres des sentiments haineux. Certes, c’est là et par là que l’expérience quotidienne d’un sentiment d’injustice angoissé et d’une identité de paria trouve un exutoire. Quelle autre réponse à une existence insupportable dans un jeu social qui les tient pour peu ?
Il est sans doute bon de rappeler, dans un contexte où les extrémistes surfent sur la vague de l’abstentionnisme et que le centre politique peine à s’affirmer devant un bipartisme périmé, l’origine et les racines réelles de ce mouvement. Ce que montre aussi le film Un Français, c’est tous ceux qui, à l’autre bout de l’échiquier social, ont intérêt à voir pourrir cette situation ; des manipulateurs comme il y en eut en dans l’Allemagne des années 20, jusqu’à ce que leur marionnette échappe à leur contrôle…
Si Un Français gêne dans la mesure où il traite des skinheads – un sujet rarement traité au cinéma en France (à l’étranger, on pensera à l’excellent American History X ou à Made in Britain) – si, par ailleurs, le film n’est pas exempt de faiblesses, il est très gênant que sa distribution ait connu tant de difficultés : une série d’annulations (une trentaine) a eu lieu dans des salles dont les directeurs craignent que la diffusion entraîne des troubles. C’est pourquoi nous vous invitons à aller le voir, car soutenir un pareil film, c’est défendre le droit de (dé)montrer certains pans de la réalité sociale, psychique, culturelle et historique française et un rappel de la nécessaire résistance à la peur qui fait le lit de la violente déraison.