Avec les nombreuses manifestations des gilets jaunes à Paris, Rennes et dans toute la France, un grand débat a été lancé. Outre les cahiers de doléances mis à disposition dans les mairies et les mairies de quartier, plusieurs discussions ont été proposées à partir du site granddebat.fr. Mais beaucoup de groupes de gilets jaunes préfèrent contourner ce site et organiser des réunions par eux-mêmes.
L’endroit paraît un peu lugubre à Saint-Grégoire. À l’intérieur d’un hangar peu chauffé, un buffet et une cinquantaine de chaises font face à un podium. En haut, Gaëtan Honoré, porte-parole du groupe les lapins jaunes de Rennes, règle les derniers détails techniques et lance un live Facebook pour ses 680 abonnés. Un cahier de doléances est ouvert sur une table à l’entrée, à côté de divers flyers sur le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC). Car le mot d’ordre du jour est bien sa mise en place, mais avant tout d’en débattre. “C’est un test. On fait notre propre grand débat et on verra si ça marche et si on en fait d’autres par la suite”, annonce Gaëtan Honoré.
“Notre débat va se détacher en trois thèmes : Le RIC, les salaires et les revenus, et le droit de manifester”, indique Gaëtan Honoré. Les thèmes ont été choisis par les membres du groupe Facebook “lapins jaunes” avec une volonté de “faire venir et faire parler tout le monde”. Tous, sauf les élus et les représentants politiques qui ne sont pas conviés. “On veut que ça soit un vrai débat entre citoyens. Les thèmes ont été votés en amont sur le réseau social. On fera ensuite un rapport qu’on enverra à l’Assemblée avec qui nous avons discuté la semaine passée”, explique le porte-parole.
Gaëtan Honoré, porte-parole : “L’objectif est de faire dégager le gouvernement et après de voter pour les représentants. Quand on aura gagné, je m’éclipserai et je ne veux plus en entendre parler”.
Le débat se lance. Dans le public, des étudiants, des salariés, des retraités. Tous les âges et toutes les classes politiques se rencontrent. Et premier pari gagné : tout le monde s’exprime. “C’est ce que j’aime avec ce genre de débat. C’est vraiment apolitique”, s’enthousiasme Stan, 25 ans, étudiant en science de l’éducation. Le jeune homme “n’a jamais participé à une manifestation pour les gilets jaunes”. Mais avant de se concerter sur le RIC, il convient de s’organiser. En effet, difficile de s’y retrouver parmi tous les groupes de gilets jaunes. “Comment s’organiser pour être crédible ?”, lance-t-on dans l’assemblée. “Il faut distinguer le sérieux et la volonté de faire le buzz”, répond-on. “Nous sommes contre cette guerre d’ego”, indique Karine, infirmière libérale, qui tente de rassurer le public.
Patrick, retraité et ancien leader syndical : “En 40 ans de combat, je n’ai jamais rien vu d’aussi démocratique que notre débat”
Ce débat ne sert pas simplement à la discussion. Il répond à quelques questions par des réponses pas forcément vraies ou sourcées, mais très souvent en se servant des exemples de fonctionnement dans d’autres pays. Certaines propositions à court terme émergent : “Il nous faudrait un bureau de vote ici”. Mais aussi à long terme : “on a besoin de tout reconstruire. Ça prendra du temps, mais on peut commencer dès l’éducation”. Parmi les revendications de la soirée, le public demande à connaître ce qu’on ne sait pas sur les fiches de paie, la taxe des grandes entreprises étrangères, un meilleur pouvoir d’achat. “On nous parle constamment d’acheter bio, mais on n’a pas les moyens”, clame-t-on.
Le débat se clôt au bout de plus de trois heures de discussion. De vraies propositions et idées émergent, tout comme des messages hostiles contre les politiciens et les trois derniers présidents. D’autres groupes de gilets jaunes ont d’ailleurs lancé leur propre plateforme sur internet à l’image du site du gouvernement. Tous se donnent déjà rendez-vous la semaine suivante, même heure, même adresse.
Pourtant, la mairie de Rennes rappelle que “des salles sont spécialement mises à disposition pour le grand débat”. Mais pour l’instant, dans la métropole, seulement trois soirées en deux semaines ont été inscrites sur le site officiel du gouvernement, contre huit pendant la même période sur Facebook. Le maire de Chartres de Bretagne, Philippe Bonnin, est passé par le site pour organiser un débat dans sa commune le mardi 29 janvier. “Le maire a une double mission de représentant de la commune et des habitants. J’ai donc pris mes responsabilités. Au-delà des opinions de chacun, c’était l’occasion de réviser l’approche de la constitution”, indique-t-il. Comme tous les autres élus, Philippe Bonnin a laissé les habitants échanger sans intervenir. “Si j’avais été interpellé, j’aurais réagi”.
Gauche, droite et extrême droite, tous les bords politiques étaient représentés. Selon la ville, ils étaient une centaine à débattre sur les quatre sujets proposés par le gouvernement : la transition écologique, la fiscalité et les dépenses publiques, la démocratie citoyenne et l’organisation de l’État et des services publics. “Quelques participants présents sont déjà actifs dans la vie locale”, précise Philippe Bonnin. Après un rappel des règles et un discours du maire, la soirée pouvait démarrer. Les revendications venaient du cahier de doléances laissé à disposition dans la mairie. Guy Appéré, médiateur, s’est chargé de l’animation du débat. Michèle Philippe remettra ensuite une synthèse de la discussion à la préfecture qui transmettra au président de la République. Tous deux sont bénévoles pour cette soirée.
Phillipe Bonnin, maire de Chartres de Bretagne après son discours d’ouverture du débat : “je vais maintenant prendre place dans le public et s’il s’avère justifié que je réponde à des demandes de votre part, je le ferai dans le cadre de mes responsabilités ou fonctions de maire”.
“Je suis plutôt satisfait de ce débat”, conclut le maire. “Nous avons constaté des agacements, notamment sur l’emploi. Il y a eu également beaucoup d’interrogations. On sent un besoin permanent d’appel d’air”. Lors de cette réunion, aucun gilet jaune n’était présent. Confirmant ainsi leur besoin de faire leur réunion sans élu. “C’est compréhensible. Dans tout mouvement social, il y a eu cette défiance. À nous de garder cette vigilance sur les revendications en tant qu’observateur”.
Un débat plus structuré qu’à Saint-Grégoire, mais pour le même bilan : quelques idées, mais surtout une nécessité de parler entre citoyens. Gilets jaunes ou non, tous les participants espèrent que ces instants ne sont pas simplement des gains de temps pour atténuer les colères physiques. Pourtant, beaucoup semblent pessimistes malgré un besoin évident d’expression mais chacun de son côté, traduisant une vraie fissure entre élus et gilets jaunes, même dans le dialogue. Des deux côtés, d’autres réunions suivront et un rapport complet doit avoir lieu au début du printemps. Suffisant pour atténuer la colère des gilets jaunes ?