La patience des amateurs d’art lyrique, qui durent attendre le 4 novembre pour assister au commencement de la saison 2015-2016 de l’Opéra de Rennes, a été récompensée en la Cathédrale Saint-Pierre par une remarquable représentation : Histoires Sacrées. Le sublime fut atteint.
Même si sa voix peinait à atteindre les derniers rangs, Alain Surrans, directeur de l’Opéra de Rennes, était manifestement heureux d’accueillir les quelque 600 spectateurs de cette unique représentation, jouant à guichets fermés, consacrée à Giacomo Carissimi et Marc-Antoine Charpentier. Heureux car pour lui aussi l’attente fût longue, mais, il nous l’assure, la saison 2016-2017 débutera bien plus tôt, réservera de très belles surprises et se terminera dans une apothéose populaire à propos de laquelle nous nous sommes engagés…à ne rien dire (jusqu’en juin).
Les travaux à l’Opéra n’étant pas achevés, c’est la Cathédrale Saint-Pierre de Rennes qui reçoit les Rennais pour ce premier rendez-vous de la saison lyrique. Pouvait-on trouver plus bel écrin pour magnifier des oratorios de Carissimi et Charpentier ? Si le lieu est magnifique, son acoustique est quant à elle complexe, il faudra quelque temps au Chœur d’Angers Nantes Opéra et aux solistes pour l’apprivoiser. Le spectacle, qui a vocation a être donné dans des églises, bénéficie d’une conception intelligente qui permet aux artistes de prendre d’abord leurs marques, afin de donner le meilleur de leurs talents, et aux spectateurs de ressentir un crescendo d’émotions jusqu’à un moment de grâce qui confère au sublime.
Tout commence par Jonas de Carissimi. La mise en scène de Christian Gangneron, efficace et sans excès, insuffle de la vie à cet oratorio comme aux suivants, et le mélange de costumes d’époque et de costumes contemporains interroge l’actualité des thèmes abordés (qu’il s’agisse de la victime émissaire, de celui qui doit payer ou de celui qui doit être sacrifié).
Le Chœur d’Angers Nantes Opéra, qu’on attend plutôt dans des œuvres lyriques de Verdi, Berlioz ou Gounod, surprend agréablement. Avec beaucoup de naturel, il s’immerge dans l’époque baroque ; c’est pour lui, et pour le chef de chœur Xavier Ribes, un pari gagné. Fort de son expérience, le ténor Hervé Lamy incarne avec justesse un Jonas émouvant qui à l’évidence ravit le public.
Honneur ensuite à Charpentier avec le Reniement de Saint-Pierre. L’occasion de découvrir le talent d’un jeune ténor espagnol incarnant Saint-Pierre : Francisco Fernández-Rueda. Formé au chant à Séville puis à Barcelone, il a déjà travaillé sous la direction de grands noms tels William Christie ou Jordi Savall ; il livre une interprétation alliant musicalité, puissance vocale et diction parfaite. À ses côtés sur scène Mikaël Weill, membre du Chœur d’Angers Nantes Opéra, mérite d’être cité tant sa performance dans le rôle de Jésus honore le chœur dans son ensemble.
Un intermède assure la transition entre les deux parties de ce spectacle. Le public peut alors apprécier pleinement l’excellence de l’ensemble Stradivaria dirigé par Bertrand Cuiller dans deux œuvres instrumentales de Charpentier. Mais c’est l’interprétation admirable du Salve Regina d’André Campra par Francisco Fernández-Rueda qui donnera le ton de la seconde partie qui va suivre.
Si le public retrouve avec plaisir le ténor Hervé Lamy incarnant le Jephté de Carissimi, il découvre Hadhoum Tunc, soprano formée à Reims puis Metz et Toulon, dans le rôle de la fille de Jephté. Alors que le chœur a totalement pris ses marques dans l’environnement acoustique périlleux de la cathédrale, elle nous offre un duo avec Hervé Lamy proche de la perfection. Moment de grâce qui se poursuit avec l’air final « Plorate colles, dolete montes… », sa voix à l’incroyable clarté entre en résonance avec la cathédrale cependant que s’illumine le chœur de l’édifice rendant visible la scène où le Christ dit à Pierre : « Je te donnerai les clés du Royaume des Cieux ». Sublime.
L’ovation que le public a réservée aux artistes était autant à la hauteur de son impatience de voir la saison commencer qu’à celle de sa satisfaction d’avoir assisté à ce premier rendez-vous pour le moins réussi.