Le Triangle, Cité de la danse de Rennes accueille l’oeuvre Infinité du chorégraphe Yvann Alexandre jeudi 13 mars 2025. Dans ce duo, l’attachement à l’écriture chorégraphique et l’amour du geste servent un propos profondément humain. Danse, musique et lumière interagissent dans une composition qui aborde la relation à l’autre.
Unidivers – La compagnie Yvann Alexandre a été créée en 1993. Vous êtes dans le milieu de la danse depuis plus de trente ans et votre écriture a dû évoluer. À vos débuts, quelle a été la ligne artistique que vous vouliez aborder ?
Yvann Alexandre – C’est une belle question, car la compagnie a eu plusieurs vies et plusieurs territoires. Elle a été créée à Montpellier puis s’est déplacée, elle a même vécu un moment à Rennes, avec une résidence au Triangle. Nous sommes maintenant installés à Angers.
Dans les fondamentaux de la compagnie, je dirais qu’il y a d’abord eu la notion de tribu, ou en tout cas d’équipe, de famille artistique. C’est-à-dire une fidélité avec les interprètes? Puis, artistiquement, il y aussi une fidélité à la notion d’écriture du mouvement et de ligne, et l’implication avec les publics et les territoires. On a toujours associé création et transmission, là où parfois on peut commencer par la création pour ensuite aller vers les publics. Pour moi, c’est l’inverse, je commence avec la rencontre des publics et, des fois, il y a la possibilité d’une œuvre ou l’idée d’une nouvelle création.
Unidivers – Infinité a été créé l’année des 30 ans de la structure, en 2023. Vous avez dit dans un entretien que cette création était particulièrement importante pour vous, car elle était annonciatrice de votre écriture à venir. Qu’entendez-vous par là ?
Yvann Alexandre – Avec Infinité, je dirais qu’un nouveau cycle s’est enclenché, moi-même je ne sais pas encore bien le nommer. La création reprend les fondamentaux à l’endroit de l’humanité. Le duo révèle les humains, la complicité, la relation à l’autre, c’est vraiment une des clés de mon travail. Vous savez, à partir d’un certain âge, une maturité arrive et donc un lâcher-prise. Je crois que je me suis autorisé à être plus à découvert, moins dans la protection. Mon écriture est peut-être plus généreuse et humaine, et moins à distance.
Unidivers – En parlant de votre style d’écriture justement : elle est définie comme précise et élaborée, mais la chorégraphie d’Infinité, a contrario, change selon l’endroit où elle est jouée. Quelle a été votre pensée créative pour cette création en particulier ?
Yvann Alexandre – Effectivement, je suis connu comme un chorégraphe dont le travail est prémédité, avec des partitions chorégraphiques qui ressembleraient à des partitions de musique ou des livres déjà imprimés. Ça n’empêche pas l’imaginaire, mais les mots et la ponctuation sont déjà posés. Là, je voulais que le duo soit perceptible par les publics comme une entité vivante, j’ai donc posé des règles du jeu très joueuses. Infinité possède douze combinaisons possibles. À chaque représentation, le spectacle est le même, mais on ne connaît pas forcément son contenu. C’est comme partir de Rennes pour aller à Paris, mais vous pouvez prendre l’autoroute, le train, etc. Cette création a douze voyages possibles et les interprètes le choisissent en direct, devant le public. Un peu sur le même principe que le jeu du Shifumi sauf qu’ils utilisent des regards, des vitesses ou des touchers pour composer et interagir. Même moi, quand je suis assis dans la salle avec les spectateurs, je ne sais pas, entre guillemets, ce que le public va voir.
Unidivers – Ces choix dépendent-ils du lieu ou des interprètes ?
Yvann Alexandre – Quand les danseurs arrivent, ils découvrent l’installation qui peut être différente en fonction du lieu, mais ce duo est incarné par quatre interprètes et je choisis la formation au dernier moment. Le public voit bien un duo sur scène, mais dans le processus de création on a travaillé avec quatre danseurs. Ils ne sont jamais dans une stabilité, plutôt dans un éveil constant. C’est pour moi plus cohérent avec ce qu’on peut vivre dans une relation. L’écriture de ce duo est celle d’une relation avec tous ses visages. Certains spectateurs y vont la rencontre, l’apprivoisement, l’amour puis la distance, d’autres ont vu des frères ou des supers amis qui, à un moment, se sont éloignés avant de se retrouver.
Un jour, un enfant a comparé Infinité à un gâteau au chocolat : ce sera toujours un gâteau au chocolat, très agréable, mais il sera parfois plus amer, plus épais ou plus petit. J’ai trouvé cette image parlante (rires).
« Ce que le duo donne à voir, c’est une grande humanité par le fait qu’on voit la relation à l’autre. »
Unidivers – Que vous plaît-il dans le fait de travailler une écriture du corps et du mouvement, et de montrer votre vision du monde et de l’humanité ?
Yvann Alexandre – C’est d’en montrer un visage sans artifice, très simple. Mon plus beau cadeau, c’est quand les gens voient deux humains sur scène et qu’ils ne trafiquent pas la relation, qu’ils sont dans le vécu de la relation. J’aime bien dire qu’Infinité est une chorégraphie au temps présent. Elle absorbe tout ce qu’il se joue dans la journée entre deux individus.
Unidivers – La pièce peut se jouer autant dans des salles de théâtre que dans des lieux non dédiés, qu’est-ce qui vous a motivé dans ce choix ?
Yvann Alexandre – Je suis un chorégraphe d’espace, je commence souvent par là. J’ai toujours aimé la création aussi bien sur la scène qu’en dehors : des lieux de patrimoine prestigieux comme la Conciergerie de Paris ou le Palais des papes à Avignon, mais aussi des places de village, des grandes étendues au bord de l’océan, etc.
Pour Infinité, cette recherche est allée un peu plus loin. Montrer plusieurs visages signifie plusieurs visages des deux danseurs, mais aussi de la relation à deux et du même spectacle. Parfois, le public le voit de manière frontale et classique, comme ce sera le cas au Triangle, même si le public s’aperçoit rapidement que quelque chose déborde du format classique (rires). Il peut être aussi présenté en version quadri-frontale, avec le public autour des interprètes, ou dans une version in situ, en extérieur. Le duo est toujours le même, mais c’est comme si on le voyait à des moments différents de la relation.
Unidivers – J’aurais un peu la même question concernant la musique. Vous avez choisi une musique en live qui est immersive et englobe l’espace et le public.
Yvann Alexandre – Le mot « immersif » est très juste, c’est vraiment la commande que j’ai faite à cet incroyable compositeur qui s’appelle Jérémy Morizeau. C’est une musique originale avec de temps en temps des petits nuages baroques qui viennent une autre lecture spatiale.
« Dès le début du spectacle, on est plongé dans le duo Infinité, le son est un acteur majeur, comme la lumière. »
Il y a une sorte de fusion et d’équilibre entre la danse, le son et la lumière. On est sur une création globale, les danseurs ne sont pas éclairés par la lumière et accompagnés par une musique, les trois interagissent. Le son peut aussi interagir sur le voyage des danseurs. Par exemple, s’ils sortent du plateau, le compositeur sait qu’il doit envoyer la musique suivante. La scène et la régie technique sont ultra-connectées, car ce n’est qu’une seule action commune. Et c’est pareil pour la lumière.
Unidivers – Ce n’est pas de l’improvisation, mais le spectacle ressemble à une composition live globale.
Yvann Alexandre – Exactement. On n’est pas dans l’improvisation, parce que douze combinaisons sont possibles, mais plus dans le fait de faire le bon choix. Un peu comme dans la vie en fait. Il n’y a pas la question de bien ou mal, mais la question du choix. Le public sent que le spectacle est différent de ceux habituels, mais on ne souhaite pas leur donner toutes les règles. Il y a quelque chose de très électrique, vivant.
Unidivers – Cela doit être une expérience assez incroyable à vivre pour les artistes sur scène.
Yvann Alexandre – C’est très émouvant, car il peut se créer des endroits d’émotion sincères et rares à partager. L’un peut toucher l’autre, au sens sensible. Des sourires peuvent aussi apparaître de manière spontanée, parce que l’un rit de la proposition de l’autre. Le mot qui ressort le plus depuis 2023, c’est « complicité ». Elle est à tous les étages.
Jouer ici est aussi particulièrement émouvant pour moi, car ce sont des retrouvailles avec Rennes que je connais bien. J’ai longtemps été en association avec Le Triangle, dans mes jeunes années. Le lieu a présenté énormément de créations la première décennie après la création de la compagnie, avant que je ne m’envole. J’ai aussi choisi dans la distribution un interprète rennais qui y vit toujours donc cette date a une saveur particulière.
« C’est un peu comme si je m’étais affranchi de mon propre style et que je me faisais confiance. Je suis content de présenter cette pièce-là à Rennes. C’est un autre visage de mon travail, mais c’est un visage que j’aime beaucoup. »
Infos pratiques :
Infinité d’Yvann Alexandre, jeudi 13 mars à 20h. Durée : 45 min.
Le Triangle Cité de la danse, boulevard de Yougoslavie, 35200 Rennes
Tarifs : 9€ tarif unique / 4€ SORTIR ! / 2€ SORTIR ! Enfant. Billetterie