Rares sont les partis traditionnels qui, élections après élections, résistent à la crise démocratique que traverse l’Union européenne. En Italie, la nomination de Matteo Renzi, à la présidence du conseil, avait soulevé de nombreux espoirs dans un pays où l’aversion pour le corps politique s’est durablement ancrée. La péninsule pourtant, aux dernières régionales, n’a pas fait exception à ses voisins européens.
C’est en jouant à la console PES avec Matteo Orfini(1) que Matteo Renzi a attendu les résultats des élections régionales du 31 mai dernier. Parmi toutes les régions de la péninsule, sept étaient en effet appelées à renouveler les mandats de leurs gouvernants. On ne saura pas qui de Renzi ou d’Orfini aura été vainqueur ce soir-là. Une chose est sûre cependant, tous deux auront fort à faire pour espérer remporter la prochaine partie. Car il paraît loin déjà le temps où Matteo Renzi pouvait se vanter du score du PD(2) aux élections européennes de 2014, où les 40,8 % de son parti donnaient toute sa légitimité à sa volonté de réforme. Depuis, les clivages politiques se sont accentués, le fossé avec les Italiens s’est de nouveau creusé, et les nouveaux équilibres politiques se sont confirmés.
Ce 31 mai, le PD a vaincu, certes. Mais ce fut une victoire sans gloire, presque une défaite. S’il remporte 5 des 7 régions en lice, la désertion aux urnes fut massive. Les candidates pour lesquelles Matteo Renzi s’était personnellement engagé ont été défaites. La Ligurie, longtemps place forte du PD, a été concédée à la Lega Nord et à Forza Italia. Le Movimento 5 Stelle de Beppe Grillo s’est ancré sur tout le territoire et la Lega de Matteo Salvini, au-delà du plébiscite en Vénétie, a enregistré des scores inédits jusqu’en Toscane et en Ombrie.
Renzianisme en crise ?
Il est facile d’y voir un camouflet pour la politique de Matteo Renzi. Depuis son arrivée au palais Chigi, le « Mattadore » a davantage divisé que rassemblé, créant de fortes polémiques avec le Job Acts(3) ou la réforme électorale, récemment votée. L’unité dont avait fait preuve le PD derrière son nouveau leader aux européennes a elle aussi volé en éclat. Les rivalités entre nouvelle et ancienne générations ont repris le dessus et la composante renzianiste se trouve désormais en minorité. Dernier coup d’éclat en date, la publication 48h avant le scrutin par Rosaria Bindi(4) d’une liste de candidats imprésentables aux élections régionales. Parmi ceux-ci, celui de Vincenzo de Luca, candidat PD à la présidence de la Campania, a sévèrement ébranlé l’image de renouveau politique dont Matteo Renzi se fait l’ambassadeur.
Toute interprétation des résultats à l’échelle nationale doit néanmoins être prudente. Le contexte régional, comme en France, possède ses propres particularités, et Matteo Renzi n’est pas encore descendu personnellement dans l’arène. Qui plus est, ces élections témoignent de tendances de fond, non plus propres à la seule Italie, mais bien aux démocraties européennes.
Ou contestation globale ?
Renzi défait et Forza Italia mis hors-jeu d’avance par l’absence de Berlusconi, les vainqueurs de ce nouveau round électoral sont une fois de plus les partis contestataires, la Lega Nord et le Movimento 5 Stelle.
Matteo Salvini, leader de la Lega, peut se féliciter. La lepénisation de son discours et de son programme lui a permis d’élargir le consensus autour de son parti, désormais leader à droite de l’échiquier politique italien. Recueillant plus de 50% des voix en Vénétie, et jusque 20% en Toscane et en Ombrie, il perce jusque dans le sud du pays, ou les listes « Noi con Salvini » commencent à rassembler. Écho du débat enflammé sur l’immigration, vote contestataire ou phénomène de longue durée, la Lega est désormais une réalité avec laquelle M. Renzi va devoir compter.
L’autre grand vainqueur de ce scrutin, c’est le Movimento 5 Stelle qui se maintient au niveau national, réussit à s’ancrer territorialement et s’affirme comme la troisième force politique d’Italie, contredisant au passage tous ceux qui n’y voyaient qu’un événement ponctuel. Les déboires de Beppe Grillo, son leader, laissaient pourtant peu de chances, selon les commentateurs, à une telle confirmation (5).
Les résultats électoraux de la Lega et du M5S pourraient être considérés séparément. Considérant la nature antagoniste des deux forces politiques et de leurs revendications, cela irait même de soi. Mais force est de constater que près d’un tiers de l’électorat italien se tourne désormais vers des partis contestataires, ouvertement anti-européens, du moins anti-euros ; un tiers de l’électorat, ou plutôt un tiers des votants, car en Italie aussi l’abstention est passée depuis longtemps pour être le premier parti du pays.
Aux élections régionales, elle croît sans interruption depuis le début des années 2000, ayant atteint en ce 31 mai 2015 des niveaux record. En Toscane et en Ombrie, seulement un électeur sur deux s’est effectivement rendu aux urnes. Jusqu’à récemment les régions avaient pourtant figuré parmi les institutions les plus fiables pour les Italiens, et pour lesquelles ils se déplaçaient massivement lors des échéances électorales. Effrayant est, à ce sujet, le niveau de la participation électorale aux régionales en Emilie-Romagne en automne dernier. À peine un électeur sur trois s’était alors déplacé pour aller voter. Manque de confiance dans les candidats, manque de représentativité et incapacité de la politique a influé sur leurs vies, voilà les réponses des Italiens quand on leur demande les raisons de leur abstention. L’effet Matteo Renzi qui les avait poussés aux urnes en 2014 n’aura finalement été que de courte durée. Et plutôt que le seul président du conseil, c’est toute la classe politique italienne et au-delà en Europe qui est à inculper.
M. Renzi s’était félicité en mai dernier de la percée de Podemos aux régionales en Espagne, affirmant vouloir contribuer au changement politique que le mouvement espagnol souhaitait initier ; une promesse qui avait mobilisé, mais dont, semble-t-il, les Italiens se sont déjà lassés.
(1) Président du Partito Démocratique, le parti de Matteo Renzi détient actuellement la majorité gouvernementale à la chambre des députés
(2) Le Partito Democratico
(3) La réforme du marché du travail proposé par le gouvernement de M. Renzi
(4) Présidente PD de la commission parlementaire antimafia
(5) On l’aura ainsi vu, le mois dernier, dénoncer la soi-disant inutilité des tests de prévention du Cancer du sein.