Avec cet effrayant roman, Jean-Louis Costes pourrait bien, enfin, se dévoiler pour ce qu’il est : un tragédien trash de génie. Récit d’aventures épiques, fiction picaresque porno-social, Guerriers Amoureux se lit à 100 à l’heure. Les yeux toujours au bord de la nausée.
Nous sommes en plein triangle mimétique girardien-maffesolien. Deux garçons et une fille se cherchent, se désirent, se déchirent (et pas qu’au sens figuré) et se séparent. Au cœur d’une cité-cliché faite de tribalisme et d’ennui. On vend de la dope pour se remplir les poches. On en prend pour remplir sa vie-vide. Ces deux illusions s’évanouissent plus vite que la fumée d’une pipe de crack.
À force de violence, de sexualité pis-aller, d’alcool et de drogues, tout éclate. Patou, petit français looser, s’enfuit en courant et en pyjama. Il veut fuir la cité et sa viscérale violence, fuir ses amours tordues. Momo, le dealer arabe et Darlène, la toute jeune Haïtienne, fuit sa déchéance, non dans un éclair de lucidité, mais aiguillonné par une peur animale. Il se retrouvera en Guyane dans des « aventures » plus scabreuses, un peu plus libre peut-être… mais la tragédie le ramènera bien vite, sans qu’il le sache vraiment vers ce et ceux qu’il a cru pouvoir fuir… Et dans cette apocalypse de zonard, Costes ce fait (presque) théologien du mal. Mix punk-dada-banlieusard d’un Sade convertit à la réversibilité des peines…
Costes au Dahlia Noir, Rennes, 7/12/2013 par ThierryJolif |
On loue toujours Zola pour son « naturalisme », on loue encore le réalisme « sans compromis » (et surtout 100 % amalgame free) de documentaires sans nombre. On s’emballe, fulminant pour, rageant contre des « piss Christ » sans intérêt autre que celui du cours journalier du « buzz » ou des homards géants et versaillais sans profondeur. Mais, contre Costes, l’unanimisme officiel se refait. Et, c’est son arme absolue, il se tait. On exalte la punkitude de Daniel Darc (paix à son âme), dangereuse pour lui seul, on admet même, avec un petit sourire bienveillant, sa foi ardente qu’il ne veut pas taire, consolation naïve de celui que la vie n’a pas épargné, mais il convient de mettre sous le boisseau le dadaïsme radical de Costes. Il constitue pourtant un sérieux antidote à la vraie vulgarité.
Cette vulgarité publicitaire (cette alliance « contre-nature » mais victorieuse du sophisme et du platonisme) (1) qui sert de camouflage à la pornocratie chic et choc qui lénifie la culture, la politique et le verbe. Il jette une lumière outrancière, trop crue sur les aspects vraiment cruels de la réalité sociale. Il porte au plus haut degré de l’exagération les troubles et les dérèglements, mais surtout il le fait sans rien céder ni à l’industrie marchande ni à une sociologie moralisante et déculpabilisante.
Costes vise ce qu’il connait, ce qu’il perçoit de la misère sociale, affective, sexuelle, la violence à son comble et qui, seule gratuité dans la globalité marchande, ne comble jamais les désirs fauves sans égard ni pitié. Incisif, Costes fait de son écriture un scalpel passé au feu. Il tranche dans le vif de la peau hâlée et bichonnée de notre condition pour en faire sortit le pus. Il n’a pas de remède… Peut-être pas. Mais cet exercice d’exorcisme par l’excès permet paradoxalement un moment de respiration. C’est une déchirure dans le voile amidonné des discours toujours un peu frelatés. En lisant ce livre vous êtes bien obligé de lâcher toutes les catégories qui s’imposent extérieurement. Vous êtes dans le réel effrayant où politiquement correct ou incorrect sont tout aussi insignifiants !
Thierry Jolif
Jean-Louis Costes, Guerriers Amoureux, eretic, 2013, 285 pages, 17€
(1) Lire à ce propos l’excellent essai de Dominique Quessada, L’Esclave-maître, l’achèvement de la philosophie dans le discours publicitaire, Paris, Verticales, 2007. En outre, sous le couvert du thème abordé dans le titre même de l’ouvrage, D. Quessada développe dans cet ouvrage la question abordée dans le précédent, La Société de consommation de soi, à savoir la dérive vers une an-altérité, un monde sans autre ou règne sans partage l’individu autophage… Et ceci est loin d’être sans rapport avec l’analyse qu’il est possible de proposer du travail « au long cours » de Jean-Louis Costes…