Dans Quand les animaux prennent la parole !, publié aux éditions Apogée, Alban Lemasson et Maël Leroux nous parlent du langage animal, bien plus complexe que ce que nous imaginions…
La collection « Espace des sciences » des éditions Apogée, à Rennes, est maintenant connue de tous par ses nombreuses et précieuses publications : L’Océan est-il le maître du climat ? de Paul Tréguer, ou Vie et mort des étoiles de Priscilla Abraham et Bruno Mauguin, pour ne citer que quelques récentes, sous la houlette du conseiller scientifique de la collection, Jean-Louis Coatrieux. Tous ces fascicules, de format et de prix modestes, entendent, avec une vulgarisation qui n’est jamais simpliste, rendre accessibles à tous des avancées de la science dans tous ses domaines, ici le climat, là les ressources terrestres, et bien d’autres thèmes qui touchent aussi à la philosophie, mais nous savons depuis Aristote et Léonard de Vinci que science, philosophie et art, et aussi littérature, forment un seul noyau culturel, mis ici à notre portée.
Aujourd’hui l’alliance d’un éthologue, autrement dit quelqu’un qui étudie le comportement animal dans son milieu, et d’un linguiste passionné de nomadisme babélien, tous deux armés des meilleurs outils de la science et d’une belle et opiniâtre expérience, se sont lancés à l’écoute des animaux, nos frères ou cousins en humanité / animalité, et pour découvrir ce qu’ils nous présentent à nos yeux et oreilles ébahies : un langage, et plus encore – car il ne s’agit pas simplement d’entendre des cris – une culture, autrement dit une organisation de la communication par l’émission et la combinaison de sons, avec une authentique syntaxe – même si la route est longue avant de l’établir. Et voilà l’ouvrage d’Alban Lemasson, professeur et éthologue, et de Maël Leroux, professeur de linguistique, tous deux rattachés à l’université de Rennes, penchés sur oiseaux, primates, éléphants et cétacés pour aboutir à ce titre évidemment parlant : Quand les animaux prennent la parole ! (Le point d’exclamation traduit notre légitime étonnement.)

On dira – et je dis – que l’on sait bien que les animaux parlent et échangent entre eux ou avec nous. Ma chatte vocalise de deux façons : ou bien une sorte de grognement de fond de gorge qui vaut acquiescement ou protestation, et c’est alors sa gestuelle qui dit ou oui ou non ; ou alors ce que l’on appelle miaulement et qu’elle module sur deux notes, la première grave, la seconde aiguë, ce que les phonologues ont transcrit en mia avec cette hauteur vocalique du a qui ouvre grand la bouche, suivi du ou, qui est note supérieure, une alliance qu’un musicologue écrirait, peut-être, do-sol ou ré-la.
Mais l’on sait bien que tout langage est musique. Et donc nos éthologue-linguiste entendent « une voix qui a un sens » – titre d’un de leurs chapitres – et cette voix, ils la trouvent, par exemple, chez tel singe, disons le mone de Campbell qui possède deux cris d’alarme distincts, qu’il sait combiner avec un signal d’alerte, et l’on entend distinctement krak, qui est danger venu de terre, et hok, qui signale le danger venu du ciel, avec une sorte d’avertisseur : oo.
« Le mone de Campbell : cette espèce possède deux cris d’alarme distincts pour chacun de ses prédateurs : le krak pour le léopard et le hok pour l’aigle. Mais la vie d’un petit cercopithèque dans la forêt ivoirienne est semée de bien d’autres embûches… par exemple une branche qui tombe d’un arbre ou l’arrivée d’un groupe d’antilopes… Cependant, démultiplier les types de cris distincts pour alerter sur chacune de ces perturbations constituerait un vocabulaire trop important pour ces singes, sans compter les risques de confusion qu’un tel nombre de cris générerait et qui pourrait se révéler fatale dans une situation urgente. La solution : combiner le krak et le hok avec une autre unité, le oo qui signale la présence d’une perturbation plus générale. »

On admirera ici, tout autant que le don d’observation, le souci de comprendre ce parler animal et d’expliquer cet embryon de langage qui, au final, nous éblouit. Ah ! que nous sommes loin de cette langue précipitée en mitraillette de certains journalistes radio, multipliant à l’infini mots, incises et barbarismes au point de faire naître en nous la nostalgie d’un parler primitif plus simple, plus direct et plus efficace. Ce catalogue du langage animalier est aussi une leçon qui s’inscrit dans le souci de l’économie écologiste qui, reconnaissons-le aujourd’hui, a du plomb dans l’aile, tandis que d’un pôle à l’autre les humains s’acharnent à l’autodestruction, au désastre collectif, à la guerre apocalyptique… et à la vaine logorrhée.
Retenons cette remarque terminale des auteurs, pleine de cette modestie qui caractérise les vrais savants :
« D’où vient alors notre langage ? Nous sommes encore loin de le savoir, tant les pressions ayant guidé l’évolution de la communication animale sont nombreuses. Les animaux ont des choses à nous ‘’dire’’ sur le sujet, cela ne fait aucun doute ! »
Des images comme celles-là sont éminemment parlantes et le Qr Code permet d’entendre ce langage vocalisé. L’ouvrage est plein de ces Qr Code qui font entendre tous ces cris et ces sons significatifs. Bien entendu entendre chanter les oiseaux et comprendre leur langage n’est plus l’apanage de Saint-François d’Assise. Et l’on saura tout ici du bruant à couronne blanche, de l’étourneau et du sansonnet, et de leurs inlassables chants d’amour. Et ces oiseaux chanteurs sont aussi des oiseaux copieurs. Qui ne s’est extasié du mainate qui, après avoir entendu une voiture démarrer, reproduit à l’identique le fracas du moteur à explosion. Sans parler du perroquet qui fit l’admiration de Flaubert au point de lui consacrer l’un de ses plus beaux et touchants récits (Un cœur simple). Et les auteurs citent, comme le plus merveilleux des imitateurs l’oiseau-lyre :
« Au moment où il cherche à se reproduire, le mâle incorpore dans une démonstration vocale spectaculaire les chants d’une vingtaine d’espèces d’oiseaux locaux, mais également des bruits non biologiques comme celui d’une tronçonneuse de bûcheron ou le cliquetis d’un appareil photo. »
On se rappellera là tous ces verbes savoureux du français qui disent que la caille cacabe, que le dindon glousse, que l’aigle glatit, que l’alouette turlutte et que le colibri zinzibule. Sans parler des screech et squawk des rapaces britanniques et le délicieux cock-a-doodle-doo du coq anglais qui n’a rien à envier au cocorico gaulois.
Et puis les cétacés d’une si rare et énigmatique intelligence, dont les auteurs nous disent que « les dauphins… sont capables de créer leurs propres sifflements signature », pour finir par cette notation savoureuse : « L’otarie Hoover, le béluga Noc et l’orque Wikie sont célèbres pour leurs imitations des voix d’humains familiers ». Ou ces éléphants dont on dit seulement qu’ils barrissent, alors que dans leurs grosses têtes des messages fort complexes se construisent et transmettent : « une voix qui a du sens », notent précisément nos auteurs qui évoquent « la structure acoustique des cris de certaines espèces », et ils montrent qu’au cours de leurs pérégrinations géographiques, ils ont assez bonne oreille pour faire le tri et risquer une interprétation plausible.

Moi, j’en reste à ma chatte Bombay dont je perçois les cris et, disons même, les paroles et n’en finis pas de tenter de décrypter ce langage énigmatique. Merci à Alban Lemasson, et Maël Leroux de nous redonner confiance dans notre incessant dialogue avec la faune animale et de nous ouvrir l’horizon infini du langage qui, assurément, avait cours dans l’Arche de Noë.
Quand les animaux prennent la parole !, Alban Lemasson et Maël Leroux, dessins d’Adèle Trévilly-Ker, éditions Apogée, collections « Espace des sciences », 72 p., 12 €. Parution : 7 mai 2025
