Quand bien même La Finta Giardiniera est une œuvre de jeunesse, donner un opéra de Mozart est presque toujours un gage de réussite. La musique est assurément magnifique, il reste donc aux chanteurs, à la mise en scène et à la technique d’une manière générale « d’assurer », pour reprendre une expression empruntée au registre des ados. C’est ce qui s’est passé, le lundi 30 mai à Rennes, pour la première de cet opéra composé en 1775, alors que le divin Wolfgang n’avait que 18 ans.
Soyons justes, tous les ingrédients qui concourent à une réussite étaient rassemblés. Si l’on veut décortiquer cette prestation, le premier compliment à adresser ira dans la direction du metteur en scène David Lescot. Assisté de Alwyne de Dardel pour la scénographie et de Maud Billen pour la mise en scène, il a réussi un premier tour de force en rendant lisible le livret de Giuseppe Petrosellini (1727-1799), digne d’être qualifié, et c’est un euphémisme, de touffu. Se situant entre les jeux de l’amour et du hasard de Marivaux ou les fausses confidences de Choderlos de Laclos, il met en place le chassé-croisé amoureux dans toute sa complexité.
L’imbroglio créé par les relations entre les différents personnages rend la lecture du livret un peu laborieuse et c’est la simplicité et la clarté du travail de David Lescot qui rendent fluide le déroulement de cette œuvre qui nous tiendra rivés à nos sièges près de trois heures. La simplicité du décor, très dépouillé, comme les costumes sobres de Sylvette Dequest n’attirent pas l’attention en dehors de l’intrigue. Seule distraction, deux personnages, vêtus en jardiniers, circulent sagement sur scène, créant un ballet de plantes et de fleurs, contribuant sans que l’on s’en rende compte, à apporter de la vie dans le récit. L’humour et le rire n’étant pas absents, ces pauvres figurants de verdures feront même les frais de la colère des personnages, dans des séquences tout à fait drôles. Arminda, fiancée trahie, à l’occasion d’une crise de jalousie, s’acharnera sur de malheureux tournesols avec une réjouissante cruauté, allant même jusqu’à chuter par excès d’enthousiasme. Le public jubile.
Autre idée géniale, le changement de décor dans la seconde partie est si inattendu et dynamique qu’il laisse l’assistance pantoise et ravie. Ce basculement de tout le fond de la scène, découvrant un somptueux paysage de sous-bois nocturne, est comme le résultat d’un coup de baguette magique. Il ne faut pas oublier que l’époque de Mozart était très friande des effets que seuls le théâtre et ses étranges machines peuvent permettre et par cette adroite utilisation d’une technique bien connue, David Lescot « colle » plus encore à l’esprit de l’œuvre, il en fait une véritable fantasmagorie. Comme le rappelle justement Alain Surrans, directeur de l’opéra de Rennes, au dix-huitième siècle, on allait au spectacle pour y dîner en même temps et on n’hésitait à parler pendant la musique, c’est sans doute ce qui explique la durée un peu inattendue de cette œuvre. Mais avant toute chose, on venait s’y divertir.
L’aspect vocal, et ce n’est pas le moindre, méritera le qualificatif de « homogène ». La prestation des chanteurs nous apportera même quelques agréables surprises. La première a pour nom Sofia Mchedlishvili. Cette ravissante et jeune cantatrice géorgienne à la voix de soprano donnera chair de manière sensible au personnage de Sandrina, fiancée trahie et presque laissée pour morte, suite à la violence de son amant, le comte Belfiore. Sa voix capable de puissance comme d’intimité lui a valu début 2015, d’interpréter le périlleux rôle de la reine de la nuit, dans La Flûte enchantée, autre opéra de Mozart. Mais revenons au comte Belfiore, ce personnage, incarné de façon magistrale et souvent divertissante par le ténor Argentin Carlos Natale, nous offrira avec Sandrina, des duos d’une grande sensibilité et d’une émouvante beauté.
Le couple suivant, composé par Arminda, Marie-Adeline Henry et de Ramiro, Marie Claude Chapuis, nous apportera son lot d’émotions et de rires. Le jeu de scène d’Arminda, tigresse à la limite du sadisme et folle de jalousie, est simplement jubilatoire. Sa voix, imposante et ses imprécations plantent un personnage plein d’une énergie qui semble inépuisable. Marie-Claude Chapuis peinera au premier acte à nous convaincre totalement, c’est beau, mais elle ne trouve pas immédiatement sa vitesse de croisière, alors que dans la seconde partie, elle sera juste merveilleuse, se révélant comme la plus mozartienne de toutes les cantatrices présentes. Elle nous entraîne dans l’univers de son personnage, avec la compréhension, l’exactitude et la sobre beauté qu’exigent les airs de Mozart. Le troisième couple a été composé de manière on ne peut plus judicieuse : en effet, allier Maria Savastano, la pétulante et énergique Argentine, avec Marc Scoffoni, notre Corse préféré, aboutit à faire voisiner l’eau et le feu. Il en ressort deux interprétations bouillonnantes de drôlerie, de vie et vocalement agréables. Le plaisir qu’ils ressentent à interagir avec le public est évident. Au-delà des qualités vocales qui s’affirment d’année en année, les qualités théâtrales de Marc Scoffoni nous explosent à la face comme une évidence. Cet homme est heureux sur scène et sait incomparablement nous le faire ressentir, l’acte de chanter pour le public est pour lui comme une offrande. Pourrait-il en être autrement ?
Caché dans la fosse, l’orchestre symphonique de Bretagne a été un des principaux artisans de cette réussite. Il a donné de la partition de Mozart une interprétation, pleine de vie, de joie et de jeunesse. Antony Hermus n’est sans doute pas étranger à cette vision enthousiaste, le chef hollandais qui avait déjà dirigé à Rennes « La Traviata », y a apporté son inépuisable tonus. À la fin des trois heures de direction, il semblait habité de la même envie qu’aux toutes premières minutes.
Nous nous sommes laissés dire qu’il restait encore quelques places de libres et il serait dommage de ne pas en profiter. Cette Finta Giardiniera restera un événement marquant de la saison 2015-2016, il vous appartient maintenant d’en juger.
La Finta Giardiniera, Wolfgang Amadeus Mozart, 30 mai au 7 juin 2016, Opéra de Rennes
Prochaines dates : JUIN 2016
MERCREDI 1er, 20 h
VENDREDI 3, 20 h
DIMANCHE 5, 16 h
MARDI 7, 20 h
SOFIA MCHEDLISHVILI dans la Flûte Enchantée,
Crédit photo : Laurent Guizard
DIRECTION MUSICALE : ANTONY HERMUS
MISE EN SCÈNE : DAVID LESCOT
SCÉNOGRAPHIE : ALWYNE DE DARDEL
COSTUMES : SYLVETTE DEQUEST
LUMIÈRES : PAUL BEAUREILLES
ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE BRETAGNE
DON ANCHISE : PODESTÀ GREGORY BONFATTI
SANDRINA : SOFIA MCHEDLISHVILI
COMTE BELFIORE : CARLOS NATALE
ARMINDA : MARIE-ADELINE HENRY
RAMIRO : MARIE-CLAUDE CHAPPUIS
SERPETTA : MARIA SAVASTANO
ROBERTO (NARDO) : MARC SCOFFONI
Production de l’Opéra de Lille – Coproduction Opéra de Dijon