Tout festival d’importance a son off. L’opportunité de découvrir de jeunes pousses en devenir. Au Croiseur de Lyon, de jeunes chorégraphes et leur compagnie ont présenté leurs créations en parallèle à la 16e Biennale de danse. Une pépinière foisonnante où Mélisa Noël a proposé La Ptite Folie. Une approche de l’alliance atypique entre le chant blues, jazz, soul et de danse contemporaine. Une artiste à guetter attentivement.
La salle du Croiseur est une scène alternative où se produisent des créations de théâtre, de danse et des lectures. Durant le mois de septembre 2014, elle accueillait La Ptite Folie de la compagnie SOoN. Chorégraphié et dansé par Mélisa Noël aux côtés de Romain Carrier à la batterie et Yannick Demaison à la guitare, ce spectacle explore l’alliage complexe et périlleux entre la musique live et la danse. Plus précisément, la difficulté pour une danseuse de danse contemporaine et chanteuse de combiner deux arts qui engagent tout aussi intensément le corps.
Si La Ptite Folie est une création encore en gestation, elle révèle déjà les traits d’un travail sensible à l’endroit de la brèche entre deux univers. Avec une voix superbe, Mélisa Noël alterne chant et danse sur le pont qu’elle a réussi à construire entre ces deux sphères. Elle porte une danse où le mouvement explorateur laisse deviner un espace prêt à éclore et une gestuelle qui évoque résolument un Mick Jagger ou une chanteuse de soul lorsque la fièvre monte sur scène.
ENTREZ DANS LA DANSE …
Emmanuelle Paris : Quel chemin empruntez-vous pour cette recherche ?
Mélisa Noël : Les premières étapes de cette création sont le produit de la fascination que m’inspirent des artistes de blues comme Nina Simon, mais aussi des chanteuses comme Janis Joplin. J’ai écouté et regardé encore et encore leurs concerts qui finissent par des morceaux qui durent parfois jusqu’à 30 mn. J’ai eu une envie très forte de leur rendre hommage, car je suis très sensible en tant que danseuse à cet état proche de la transe qu’elles atteignent sur ces morceaux. J’ai observé de nombreuses variations selon leur instrument : le micro seul, le piano…
J’ai ressenti une véritable frustration, car la musique de ces artistes comme celle que l’on pourrait appeler musique à danser est très peu employée dans le milieu de la danse contemporaine, en tout cas en France. J’ai voulu dans un premier temps rendre hommage aux femmes de la soul music, car ce qui m’a particulièrement touché est un état de corps incroyable, un vrai état de libération sur scène.
En les voyant des questionnements sont nés à l’endroit de la danse et à l’endroit du corps. En tant que danseuse, j’ai ressenti une forte impression qu’il y avait deux mondes. Alors qu’à mon endroit j’étais complètement sensible aux concerts, au live, au 4e mur qui disparaît. Ces barrières tombent à l’endroit de la performance que j’affectionne énormément et dans lequel je retrouve quelque chose de plus direct, de plus urgent. Les codes peuvent être bousculés.
J’ai fait beaucoup de sessions de travail avec David Zambrano et je suis le travail de Boris Charmatz. Ils ont interrogé ces endroits-là de la danse. Par ailleurs, j’ai ponctuellement été sollicitée par des metteurs en scène pour ma voix, mais je ne l’avais jamais réellement exploitée. J’ai voulu voir ce que les mots, le sens, le chant et la puissance vocale pouvaient induire comme état et ça a été une évidence que c’est par le corps que je ressentais tout cela.
E. P. : Comment vous êtes-vous éloignée de l’hommage aux chanteuses ?
Mélisa Noël : J’ai collecté des mouvements récurrents au cours de mes improvisations, je me suis imprégnée de gestes que peut avoir une foule dans une soirée dansante, des mouvements de masse lors de concerts. Parfois chez les chanteurs sur scène on retrouve des choses qui sont plus liées au martèlement, quelque chose de l’ordre de l’appel. Je me suis nourri de tout cela puis j’ai essayé de lâcher le corps pour me concentrer sur le chant et la musique que nous avons composée avec Yannick Demaison et Romain Carrier (les deux musiciens) .
Alors, s’est posée la question de ces matières qui existent entre les morceaux, des codes liés aux moments où l’on entre dans une chanson, où l’on en sort, des refrains, des couplets, des structures afférentes. Nous avons invité Marine Mane, dramaturge et metteure en scène de la compagnie In Vitro. Sa tâche va consister à ouvrir le travail sur les aller-retour scène-public.
E. P. : Comment avez-vous intégré la gestuelle très rock des deux musiciens au spectacle de danse ?
Mélisa Noël : Yannick Demaison compose toutes les musiques du spectacle et est présent depuis le début du processus. Ce qui m’a touchée c’est sa sensibilité et sa capacité à percevoir ce que j’avais envie de questionner, de se mettre au service d’un univers que j’arrivais à décrire, mais que finalement je ne connaissais pas non plus. Il est beaucoup plus proche du rock et de la pop. C’est sa première expérience de danse contemporaine. À l’origine il devait rester en régie et adapter la bande-son en direct. Mais rapidement j’ai réalisé que j’anticipais la musique qui devenait trop figée du fait qu’elle était enregistrée. La fragilité, la rupture, mon questionnement de l’instant T disparaissaient; le live avec ce qu’il sous-tend d’écoute et d’improvisation s’est imposé. D’évidence la place de Yannick était sur scène avec moi. C’est à ce moment que Romain Carrier a rejoint le projet. Ils étaient plutôt en retenue au début de cette étape car très attentifs à mes demandes pour prendre de plus en plus leur place. Nous en sommes arrivés maintenant à chercher les endroits où je pourrais disparaître.
Compagnie SOoN La Ptite Folie 45’
Chorégraphie et interprétation : Mélisa Noël
Création musicale : Yannick Demaison
jouée/interprétée par Romain Carrier à la batterie et Yannick Demaison à la guitare/basse/clavier/machines…
Création lumière : Rosemonde Arrambourg
Crédit photos : Olivia Chastel et Arthur Wojcik