Classée dès 1840 au titre des Monuments historiques, la Roche aux Fées, à Essé (Ille-et-Vilaine), est l’un des plus grands dolmens d’Europe. Ses 41 dalles de schiste, savamment disposées, composent un chef-d’œuvre de l’architecture funéraire néolithique, orienté selon le lever du soleil au solstice d’hiver. Un monument unique, chargé de mythes et de rites, qui attire chaque année près de 25 000 visiteurs.
Mais derrière son aura millénaire, le site se trouve désormais au cœur d’une vive controverse : associations locales, élus et services de l’État s’affrontent autour d’un projet d’aménagement touristique porté par la communauté de communes Roche-aux-Fées (RAFcom).
Un projet touristique qui divise
Le plan d’aménagement prévoit la création d’un parking relais d’été dans une prairie attenante, l’extension du stationnement existant (de 15 à 33 places), l’installation de bornes de recharge pour véhicules électriques et de nouveaux cheminements. Objectif affiché : faire grimper la fréquentation annuelle de 25 000 à 35 000 visiteurs.
Pour RAFcom, il s’agit d’un projet de valorisation culturelle et paysagère. Pour les opposants, il s’agit au contraire d’une marchandisation d’un site sacré, qui menace directement son intégrité.
Les recours des associations : « un monument en péril »
Les associations patrimoniales et environnementales ne désarment pas. Après un recours gracieux déposé le 21 juin 2025, elles ont saisi une nouvelle fois la CADA le 18 août 2025, dénonçant l’absence de plusieurs pièces essentielles dans le dossier de Permis d’Aménager (PA).
Elles pointent notamment :
- l’absence d’étude du sous-sol, pourtant demandée par le Préfet dès 2010 et réclamée par l’Architecte des Bâtiments de France ;
- le risque d’aggravation des fissures du dolmen avec l’augmentation des flux routiers sur la RD341 (cars de touristes, camions de 38 tonnes) ;
- la construction d’un parking en zone humide inondable ;
- la disparition possible d’arbres et de haies classés, sans étude de compensation ;
- des dégradations récentes sur les pierres, constatées par le Département en juin et août 2025.
Le préfet donne son feu vert… sous conditions
Le 7 mars 2025, le Préfet d’Ille-et-Vilaine a rendu un avis favorable au projet, mais assorti de prescriptions : interdiction d’arrachage de souches, limitation des interventions mécaniques autour du monument et vigilance accrue face à la fragilité archéologique du secteur.
Pour les associations, ces conditions ne sont pas respectées. Pire : elles estiment que l’aménagement, en l’état, met en danger un monument vieux de plus de cinq millénaires.
Une pétition qui prend de l’ampleur
La mobilisation locale a trouvé un large écho. Une pétition en ligne a déjà rassemblé plus de 20 000 signatures, demandant l’abandon du projet et la remise en état du site. Parmi les alternatives avancées :
- la construction d’un ponton sur pilotis avec garde-corps pour canaliser les flux et limiter les vibrations ;
- l’embauche saisonnière d’un médiateur chargé d’accompagner les visiteurs et de prévenir les dégradations.
« Ce n’est pas un simple site touristique, c’est un patrimoine de l’humanité », rappellent les associations, qui regrettent que la Roche aux Fées n’ait jamais été inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Le dilemme breton : protéger ou exploiter ?
Le débat autour de la Roche aux Fées illustre un dilemme plus large : comment concilier préservation du patrimoine et attractivité touristique en Bretagne ?
La région, riche de mégalithes, d’abbayes et de fortifications, attire des millions de visiteurs chaque année. Mais l’afflux de cars, l’urbanisation périphérique et les infrastructures associées mettent à l’épreuve des sites souvent fragiles. Carnac en Morbihan, Locmariaquer, ou encore les alignements du Ménec connaissent les mêmes tensions entre mise en valeur et surexploitation.
La Roche aux Fées devient ainsi le symbole d’une question cruciale : la Bretagne veut-elle faire de son patrimoine une ressource économique ou un héritage à protéger coûte que coûte ?
Une bataille loin d’être terminée
Entre procédures juridiques, pressions associatives et ambitions touristiques, l’avenir du dolmen reste incertain. Mais une certitude demeure : la Roche aux Fées, vieille de 5 000 ans, ne pourra résister indéfiniment aux fissures, aux vibrations et aux contradictions d’un monde moderne qui hésite encore entre protection et exploitation.
