Quels secrets se cachent derrière une photo de famille? Avec l’inauguration de cette formidable collection Poursuites et Ricochets, les éditions lamaindonne établissent un pont entre images et mots. Elles donnent l’occasion à des personnalités, Marie-Hélène Lafon et Guillaume Geneste, de répondre à cette question. Passionnant et remarquable.
Dans le domaine relativement restreint de l’édition photographique, la création d’une nouvelle collection attire toujours l’attention. Quand la maison concernée est lamaindonne, cette maison aveyronnaise que nous vous avons présentée récemment, l’intérêt s’accroit. Et quand enfin, à cette nouvelle collection, est associée notamment le nom d’une écrivaine renommée comme Marie-Hélène Lafon, l’envie d’en savoir plus est décuplé. Avec la présence de l’autrice, le thème de cette collection Poursuites et Ricochets est de suite révélé. Il s’agit en effet de marier « photographies de familles et textes littéraires ». Cette association est une tendance en vogue. Histoire de familles de Justine Lévy (Flammarion) donnait déjà l’occasion à un(e) auteur(trice) d’écrire sur des photos anonymes extraites du fonds The Anonymous Project. Isabelle Monnin avec Des gens dans l’enveloppe (JC Lattès) cherchait à reconstituer une histoire familiale à partir de photos anonymes achetées chez un brocanteur.
Textes et photos, ici encore, mais cette fois-ci la collection dirigée par Guillaume Geneste, tireur à la Chambre Noire, et David Fourré, éditeur des éditions lamaindonne, se différencie car il s’agit de photos de familles des auteurs eux-mêmes. L’éditeur nous explique comment est venue l’idée : « C’est Guillaume Geneste qui m’a donné un manuscrit juste après la sortie de son premier livre Le Tirage à mains nues. Depuis plusieurs années, il collectait toutes les images que pouvaient récupérer les membres de sa famille. Guillaume est fasciné par la photographie de famille, par ces gens qu’on ne connaît pas toujours mais qui apparaissent encore sur des photos crantées, parfois passées, abîmées. Voir sans savoir… Il a choisi douze images parmi ce corpus et a écrit autant de textes. C’est un travail remarquable, très émouvant, très intelligent. Quand j’ai lu ce manuscrit, j’ai tout de suite pensé à une collection, eu envie de nombreuses voix différentes pour parler d’un sujet qui occupe tout le monde. C’est toutes ces voix particulières qui donneraient l’épaisseur de la collection ».
Guillaume Geneste inaugure donc logiquement cette collection avec Tout autour de la photographie, ouvrage dans lequel il commente douze photos qui ont pour trait essentiel de dévoiler des personnes dont on ne sait rien, comme ce fabuleux daguerréotype de 1870 qui incite à fouiller les archives et à imaginer les vies d’un bisaïeul et de ses parents. Dire des moments d’existences que l’on n’a pas connus c’est ce que Marie-Hélène Lafon raconte aussi dans le deuxième ouvrage de la collection Une autre vie. Pour sa participation, le hasard a bien fait les choses. « Elle était en train de débarrasser la maison de famille » poursuit David Fourré, « et elle avait retrouvé une série de photos de son père pendant son service militaire au Maroc… Elle y découvrait un homme qu’elle ne connaissait pas. Le projet ne pouvait que lui parler ». L’autrice, née après ces moments saisis d’un père à venir, établit ainsi des ponts entre sa vision d’un jeune homme et celle d’un homme, non encore chargé de famille. Avec ce style unique et ciselé, elle dit tout : ressemblances et différences, possibles et certains. Elle ouvre des brèches « que j’espère heureuses ou du moins joyeuses, dans la vie du jeune homme qui deviendrait mon père, ce père qu’il fut vaillant, violent, verrouillé, caparaçonné, amputé de la joie, la peur chevillée au corps comme une maladie contagieuse ».
Citant le photographe Denis Roche, Guillaume Geneste écrit dans sa préface : « Ce qu’il y a de formidable avec la photographie, c’est tout ce qu’il y a autour ». Sa femme Françoise renchérit: « Et puis après il y a ce que les autres en feront ». Il est fascinant d’imaginer ainsi que des photos sépias abandonnées dans des boîtes à chaussures familiales reprennent vie et dévoilent des non-dits. Un sourire, une attitude, un accessoire pour dire la vie d’un être que l’on a peu ou pas connu, d’un intime aussi, et dire une époque. Dire cet « autour », si passionnant et si librement ouvert.
En mélangeant l’intime à l’universel, en associant deux modes d’expression, différents en apparence mais si proches en réalité, en publiant des livres photo qui ne soient pas des livres d’auteur, les créateurs de la collection devraient trouver leurs lecteurs. À la fréquence de trois ou quatre titres annuels, les prochains seront ceux de l’écrivaine Emmanuelle Lambert, Françoise Huguier, Bernard Plossu. Cette collection souhaite s’ouvrir aussi aux philosophes, historiens, cinéastes. Optimiste, l’infatigable David Fourré l’est assurément : « Avançons tranquillement, on verra bien ce que nous réserve l’avenir ! ».
Un avenir que nous souhaitons prospère et heureux à cette collection remarquable qui s’adresse à un public plus large, y compris libraires et journalistes, que le monde spécialisé du livre photo. Il s’agit simplement de dire des vies d’anonymes, celles de nos familles. Nos vies. Enfermées parfois dans de simples boîtes à chaussures.