LES ÉTOILES S’ÉTEIGNENT À L’AUBE, UNE BD LUMINEUSE

Un père absent demande à son fils de l’accompagner pour son dernier voyage. Il va révéler à son fils un monde que le garçon n’avait jamais vu et une histoire jamais entendue. Vincent Thuran adapte superbement le roman Les étoiles s’éteignent à l’aube de Richard Wagamese.

TURHAN WAGAMESE

C’est l’histoire de levers et de couchers de soleil. D’aubes et d’aurores. Les aubes où l’on confie ses secrets de meurtre, de naissance, d’alcool. Les aurores où l’on explique l’amour qui a fui, la mort qui vient. Et ces moments magiques où la lumière s’allume ou s’éteint, Vincent Turhan sait magnifiquement les peindre.

L’écrivain canadien d’origine ojibwé, Richard Wagamese avait dans son premier livre traduit en France en 2016 touché des milliers de lecteurs par l’usage de ses mots pour dire la beauté de la nature (1). En adaptant son roman, le dessinateur ne l’a pas trahi. Ce sont ces planches d’une douceur ineffable qui séduisent d’abord en nous emmenant pour une balade mélancolique dans la Colombie britannique. C’est de la nature qu’est attendue la rémission. C’est de la nature qu’est attendue la vérité, cette vérité que souhaite entendre Franklin Starlight, de son père Eldon qui à défaut de l’élever l’observe de temps en temps entre les vapeurs d’alcool, dans une ferme voisine où il l’a laissé, nourrisson.

TURHAN WAGAMESE

Eldon sent sa fin proche et il demande à son fils de l’accompagner jusqu’au sommet d’une montagne, loin de tout, face au soleil, comme un guerrier. C’est que les deux hommes ont des origines indiennes, du « sang mêlé » et comme dans tous les romans de Wagamese, les rites et cultes indiens sont omniprésents, véritables liaisons entre le présent terrestre et l’au-delà. Les Hommes ne sont que des poussières, de petites silhouettes dessinées en bas de case, fourmis minuscules face à l’immensité de paysages grandioses. La vie des vivants est complexe et les jugements difficiles.

TURHAN WAGAMESE

Dans ce grand espace qui s’ouvre sur un ultime voyage, le père et le fils vont apprendre enfin à se connaitre, à se parler, à expliquer à défaut de s’expliquer. Pour la première fois de leurs vies ils cheminent ensemble et par bribes, grâce à la flamme d’un feu de camp ou à la rencontre avec une vieille femme, ils vont enfin poser des mots sur leurs souffrances, leurs incompréhensions. Les failles terribles du père alcoolique invétéré se disent. La souffrance de l’enfant en mal de famille s’exprime. Cet apaisement qui vient peu à peu n’est possible que dans le cadre des paysages qui les entourent, eux qui sont soumis comme les hommes aux aléas des orages, de la neige, du soleil. La mère apparaitra enfin ultime secret dévoilé, nécessaire pour se rendre dans l’au-delà.

TURHAN WAGAMESE

Ce voyage initiatique permet aux deux êtres qui se cherchent de retrouver des gestes ancestraux, celui de construire un tipi de sudation, ceux qui permettent de chasser et même de pêcher. La force du récit de Wagamese est de ne pas effacer les cicatrices, mais plutôt de les toucher, les caresser pour les apprivoiser et oser enfin les regarder. Le père transmet enfin à son fils. Et peut être, le fils à son père. Les étoiles qui s’éteignent à l’aube sont les feux de camp que continuent à allumer chaque nuit les ancêtres dans leur voyage dans l’autre monde. Quand le jour réapparaît les étoiles s’éteignent et les ancêtres reprennent leur route. Si Richard Wagamese a allumé un de ces feux il doit observer avec intérêt ce magnifique ouvrage chaque nuit à la lueur de son feu de camp. Un ouvrage qui n’est rien d’autre qu’une histoire d’aubes et d’aurores.

Les étoiles s’éteignent à l’aube de Vincent Turhan d’après le roman de Richard Wagamese. Éditions Sarbacane. Parution 5 janvier 2022. 148 pages. 24€.

RICHARD WAGAMESE
Photo : Editions Sarbacane

Richard Wagamese, né en 1955 en Ontario, est l’un des principaux écrivains amérindiens canadiens. Il appartient comme ses personnages à la nation objiwé. Il a exercé dès 1979 comme journaliste et producteur pour la radio et la télévision. Il est l’auteur de treize livres majeurs, seuls trois d’entre eux ont été publiés en France, dont l’exceptionnel Jeu blanc (Zoe et en poche 10/18) et l’inachevé Starlight (Zoe) par référence au personnage principal de Les étoiles s’éteignent à l’aube. Richard Wagamese est devenu en 1991 le premier indigène canadien à gagner un prix de journalisme national. Il est notamment le lauréat du Prix national de réussite indigène pour les médias et les communications 2012, et du prix 2013 du Conseil canadien des arts. Il est mort en 2017.

VINCENT TURHAN
Photo Editions sarbacane

Après des études d’Histoire de l’art et d’Archéologie, Vincent Turhan effectue une formation d’illustration et de bande dessinée à Paris. Diplômé en 2013, il intègre les Ateliers des Beaux-Arts de Paris où il donne des cours d’histoire de l’image narrative. Maquettiste/graphiste pour divers éditeurs de voyage, il élabore en parallèle plusieurs BD, d’abord avec son collectif DIG, puis aux éditions Les Enfants Rouges où il publie en 2017 Le Chemin des égarés. En 2019 sort Transatlantique, une adaptation d’une nouvelle de Stefan Zweig aux éditions Magellan & Cie. Les étoiles s’éteignent à l’aube est sa première bande dessinée publiée aux éditions Sarbacane.

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Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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