La journée du 31 mars 2016 a marqué un tournant dans les protestations contre le projet de loi El Khomri. « Il est possible qu’on soit en train de faire quelque chose », a dit Frédéric Lordon le 31 mars 2016, le soir des manifestations, lors de la Nuit Debout parisienne.
En effet, la mobilisation n’a pas faibli. Un mouvement similaire à celui des Indignés espagnols a vu le jour à Paris et dans d’autres villes de France : par cette « Nuit Debout », les opposants à la loi El Khomri prolongent la manifestation, occupent un lieu et débattent ensemble des manières de se mobiliser. Mais ils ne sont pas les seuls à « faire quelque chose » : les violences policières alimentent clairement le vent de révolte.
Plusieurs vidéos ont circulé sur la toile. La plus connue reste celle de Danon, un lycéen de 15 ans : trois policiers l’entourent et le relèvent pour ensuite lui décocher un coup de poing au visage. Le policier sera jugé en mai pour violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique. Mais d’autres scandales ont éclaté : une autre vidéo montre un policier en civil faire un usage non nécessaire et particulièrement violent de sa matraque, à nouveau sur un lycéen. La mort de Rémi Fraisse est encore dans les esprits, son nom sur les lèvres. Les plaintes sont nombreuses. Sur Change.org, une pétition a été lancée à l’adresse du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve pour que le gouvernement reconnaisse et condamne les violences policières. Des manifestants, le plus souvent mineurs, ont affirmé avoir été passé à tabac et menacé par des CRS.
À Rennes, la manifestation du 31 mars a fait de République et des alentours une zone de combat. Nathalie Appéré a demandé au préfet que « les points de rassemblement et les parcours de manifestations puissent se dérouler en dehors de l’hyper centre, afin de faciliter leur sécurisation ». Résultat ? Des CRS bloquaient les entrées, rue Jean Jaurès, rue d’Orléans, rue du Cartage ou encore place Saint-Germain. Cette dialectique de l’intensification semble avoir rendu les heurts inévitables, et l’ambiance électrique. Plusieurs syndicats et partis politiques ont dénoncé des violences policières. Qui s’y trouvait (manifestants, badauds, passants, journalistes voire même salariés non contestataires) n’a pas pu ne pas étouffer sous le nuage lacrymogène. Certains ont subi le choc des Flash-Ball ou reçu des éclats de grenades lacrymogènes. 12 personnes ont été interpellés. Le préfet a avancé le chiffre de trois blessés (un policier, un passant et un manifestant) : néanmoins des associations et syndicats récoltent des témoignages pour faire valoir la reconnaissance d’éventuels blessés non encore comptabilisés.
De nouvelles manifestations contre la loi travail El Khomri sont annoncées au plan national, qu’en sera-t-il à Rennes ? La place du Parlement sera-t-elle la nouvelle Syntagma ou une Puerta del Sol (un peu plus pluvieuse) ou juste, à l’instar des embrasements révolutionnaires du CPE, une nouvelle flambée sans lendemains (qui chantent) ?
Dessin : Michel Heffe; Texte : Thibault Boixière
Membre du collectif Les Economistes Atterés, Frédéric Lordon (né le 15 janvier 1962) est un économiste et sociologue français, directeur de recherche au CNRS et chercheur au Centre de sociologie européenne (CSE), collaborateur régulier du Monde Diplomatique il est en particulier l’instigateur d’idées et théories telles que la marge actionnariale limite autorisée ou la suppression de la bourse mais défend également la souveraineté économique. Le 30 novembre 2015, il signe l’Appel des 58 : « Nous manifesterons pendant l’état d’urgence ». Ses derniers ouvrages en date : La Malfaçon : monnaie européenne et souveraineté démocratique, Paris, Les liens qui libèrent, 2014, 295 p.; Imperium : structures et affects des corps politiques, Paris, La Fabrique, 2015, 358 p.; On achève bien les Grecs : chroniques de l’Euro, Paris, Les liens qui libèrent, 2015, 272 p.