Et si cuisiner était un acte de résistance ? C’est le cri vibrant, joyeux, parfois féroce que pousse Maria Nicolau dans Cuisine ou barbarie, ouvrage inclassable paru aux éditions Arpa, best-seller en Catalogne, désormais accessible en français. Entre manuel d’émancipation, pamphlet anti-système et recueil de recettes ancrées dans la terre et les tripes, ce livre décoiffe — ou plutôt, il dégraisse. À rebours de la cuisine spectacle, du gastro-marketing ou des foodies en story permanente, Nicolau nous invite à descendre de l’écran et à revenir au geste.
Cheffe catalane aux couteaux affûtés autant qu’aux idées, Maria Nicolau dénonce frontalement une barbarie moderne : celle de l’uniformisation alimentaire, du désapprentissage des savoir-faire, de la dévitalisation de nos cuisines familiales. Dans sa ligne de mire : les plats tout prêts, la disparition des légumes de saison, l’obsession du temps gagné, les gâteaux Instagram et les toques télévisées.

« La barbarie moderne commence le jour où nous avons oublié comment faire un œuf au plat. »
Mais Cuisine ou barbarie n’est pas un bréviaire culpabilisant. C’est au contraire un texte solaire, souvent drôle, toujours incarné, où chaque page vous prend par la main pour vous ramener au vivant : celui des marchés, des casseroles, des souvenirs de grand-mère et des repas partagés. Dans un style direct, vif, généreux, Maria Nicolau redonne à la cuisine sa dimension première : celle d’un acte de transmission, d’amour, de lien. Un acte politique, donc, mais aussi profondément sensoriel.
« Ce n’est pas la recette qui compte, c’est ce que vous mettez de vous-même dans le plat. »
Ses anecdotes familiales croisent des réflexions d’une justesse mordante sur la solitude moderne, l’anxiété générée par les injonctions diététiques, le rôle des femmes en cuisine ou encore la dépossession culturelle que constitue l’abandon des recettes populaires. Le tout est émaillé de recettes simples, rustiques, brillamment expliquées, sans jamais verser dans le dogme.
« Cuisiner n’est pas une corvée : c’est une victoire quotidienne sur l’absurde. »
Le sous-texte du livre est clair : laisser sa cuisine aux industriels, c’est aussi abdiquer une part de sa liberté. Reprendre le couteau, c’est reprendre la parole. Refaire une soupe maison, c’est refuser la soupe narrative qu’on nous vend : celle d’un monde rapide, standardisé, déconnecté de la terre et des saisons.
« Ce que nous avons perdu, ce ne sont pas seulement des saveurs, ce sont des mondes entiers. »
Dans un monde saturé d’images léchées et de saveurs manufacturées, Cuisine ou barbarie agit comme un électrochoc. Un manuel de contre-culture culinaire, un appel à lever les couvercles et à rallumer les feux, même petits. Maria Nicolau nous rappelle que cuisiner, ce n’est pas performer : c’est appartenir.
Et si ce livre est un manifeste, c’est un manifeste joyeux, hirsute, enraciné. Celui d’une cuisinière qui refuse de voir la marmite vide devenir le symbole d’un mode de vie moderne. Avec elle, la cuisine redevient ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une fête libre, une affaire de peuple, et de transmission.
Cuisine ou barbarie
Maria Nicolau, Éditions Arpa, avril 2025
352 pages, 22,90 €
Traduit du catalan par Silvia Nieto Cortés
