Sourde, aveugle et muette : Marie Heurtin cumulait les handicaps. Vivant au XIXe siècle, l’asile d’aliénés était sa perspective inéluctable. Mais son chemin croise celui de Sœur Marguerite. Deux destins de femme en marge qui ont captivé Jean-Pierre Améris. Rencontre avec un cinéaste que vous ne verrez (sans doute) pas chez Michel Drucker.
Diplômé de l’IDHEC (l’ancêtre de la FEMIS), Jean-Pierre Améris s’illustre par une filmographie plutôt tournée vers les laissés pour compte de la société, ceux dont on se moque (Les aveux de l’innocent, Maman est folle, Les émotifs anonymes…). Apprenant un jour l’histoire d’Helen Keller,
sourde, muette et aveugle américaine devenue écrivain et conférencière, il songe à faire un remake de l’extraordinaire film Miracle en Alabama qu’Arthur Penn lui a consacré en 1962. Mais devant les difficultés et le coût encourus, il cherche un cas équivalent en France et découvre celui de Marie Heurtin. La petite sauvageonne ne veut pas lâcher ses parents aimants qui eux-mêmes refusent de l’abandonner à l’asile. Son père a fait le tour des instituts pour sourds, jusqu’à celui où travaille Sœur Marguerite. La mère supérieure choquée par le comportement de la fille refuse de l’accueillir et il faut tout le talent de la religieuse, pertinemment interprétée par la lumineuse Isabelle Carré, pour la faire revenir sur cette décision. Commence alors un chemin de croix (impec pour une catho !) pour libérer l’âme emprisonnée qu’elle seule entrevoit. Lui passer des chaussures au pied ou un peigne dans la tignasse relèvent déjà de l’exploit, et ce n’est qu’au bout de huit mois qu’un semblant de communication s’établit entre les deux êtres. Par le seul sens qui les relie: le toucher. On assiste à l’éveil de cette âme emmurée, jouée avec conviction par Ariana Rivoire – qui est sourde et muette, mais pas aveugle.
Pour la trouver, Jean-Pierre Améris a fait le tour des instituts spécialisés en France, dont celui de Larnay (où se déroula l’histoire). Il a été surpris d’y « voir ces enfants nous renifler, nous toucher. Tout ce qu’on interdit de faire aux nôtres ! » s’amuse-t-il. C’est finalement dans la cantine d’un lycée pro de Chambéry qu’il repère Ariana. « Elle n’était pas venue au casting, mais j’ai tout de suite vu qu’elle portait en elle une colère rentrée, comme Marie Heurtin ».
Il n’a pas été simple de boucler le projet: « le cinéma français est très fermé. Tout comme les grands médias ». Et de préciser: « çà m’est égal de ne pas être invité chez Drucker mais j’aurais aimé qu’Ariana le soit ». Cette jeune femme (dont « ce sera sans doute l’unique rôle ») exprime admirablement la graduation de son ouverture au monde – alors que la religieuse s’en retire pour cause de tuberculose. Le propos, jamais lénifiant, est servi par une mise en scène classique qui n’interfère pas sur son poids intrinsèque. Pas d’effet de cornettes non plus ! Améris a modernisé les tenues des bonnes sœurs au grand cœur. Son sens de l’esthétique sert le message de la foi, celle qui est censée soulever les montagnes ou qui amène une jeune fille à raconter sa journée en langue des signes devant une tombe… Et la caméra se tourne vers le ciel. Fin.