C’est le dimanche précédant Pâques et qui évoque dans la tradition chrétienne l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem que Gildas Pungier et 14 chanteuses et chanteurs de l’ensemble vocal Mélismes ont convié le public rennais à un concert de musique sacrée dont le plat de résistance était l’œuvre de César Franck : Les Sept paroles de Christ sur la croix.
Pas facile de rivaliser avec une magnifique journée ensoleillée invitant plus aux plaisirs légers de la plage qu’à une réflexion intérieure. Pourtant un public d’amateurs de beau chant avait répondu présent et n’a pas eu à le regretter. C’est par le cantique de Jean Racine, que l’ensemble domine parfaitement pour l’avoir déjà magistralement interprété en mars 2016, que commence notre concert. Quelle magnifique mise en bouche que cette très belle œuvre d’un Gabriel Fauré de 19 ans qui doucement, mais sûrement, monte en puissance et, n’hésitons pas à le dire, nous fait du bien. Suivra le Ô Salutaris hostia de Richard Quesnel, directeur de la maîtrise de Sainte-Anne d’Auray qui sait de quoi il parle lorsqu’il s’agit de chant choral. Tout bonnement époustouflant !
Retour, quelques mesures plus tard à Gabriel Fauré avec l’Ave verum et Maria mater gratiae qui permettent aux chanteuses de mettre en valeur la qualité de leur interprétation tout autant que leurs qualités vocales. Ces œuvres apaisées peuvent se transformer en piège tant leur simplicité n’autorise aucune médiocrité. C’est exactement la leçon que nous délivrera la soprano Sylvie Becdelièvre dont la voix et l’interprétation très sobres répondront parfaitement aux attentes de ces textes bibliques. De leur côté Matthieu Chapuis et Jean-Jacques L’anthoën, ténors, avec deux voix très différentes, porteront le même message et réussiront par l’authenticité de leur vision personnelle à nous causer une réelle émotion. Ronan Airault imposera sa voix puissante de baryton avec une belle assurance et nous imposera, s’il en était besoin, un silence étonné et respectueux. Pour l’Avé Maria de César Franck, les membres de la maîtrise de la cathédrale vinrent renforcer pour quelques instants les effectifs de Mélismes et ce mélange d’amateurs et de professionnels se fit pour notre plus grand plaisir.
La petite surprise de ce concert fut pour nous l’Ave Maris Stella, œuvre signée de Gildas Pungier lui-même. Non seulement elle est belle, mais elle est déroutante. Inattendu mélange d’accords dissonants au piano et de textes religieux chantés sur un rythme ternaire, exactement comme on danserait la valse. Elle est pourtant empreinte d’intériorité, le son des cloches un peu lugubre, nous est distillé par un Marlon Soufflet pour l’occasion transformé en percussionniste. L’arrivée des différents solistes par l’allée centrale et les transepts crée un paysage musical plein d’échos qui enferment l’auditeur dans une sorte de nasse sonore du plus bel effet.
La deuxième partie du concert sera consacrée à César Franck et ses Sept paroles du Christ sur la croix. Cette partition de 1859 un peu tombée dans l’oubli se divise en sept parties et un prologue. Chacune partie illustre musicalement les sentiments de Jésus durant sa passion. Les chœurs seront accompagnés de deux instruments : le piano, tenu par Colette Diard et l’harmonium, par Didier Adeux. Le prologue s’adresse à la foule O vos omnes, mais c’est ensuite à son père que Jésus s’adresse dans une prière fondamentalement généreuse puisqu’elle réclame le pardon de ceux qui vont lui imposer tant de souffrances.
L’espoir n’est pourtant pas absent et s’exprime dans la seconde parole avec un texte qui ne laisse pas place au doute Hodie mecum eris in paradisum, « aujourd’hui tu seras avec moi au paradis ». C’est à la Vierge Marie et à Jean que s’adresse la troisième parole Mulier ecce filius tuus, « femme voici ton fils ». Elle installe symboliquement Marie comme mère des croyants. Avec la quatrième parole nous retournons dans le domaine de la supplication. Jésus s’adresse à son père et lui crie au début du psaume 22 Eloi,Eloi Lama sabbachthani, cette expression araméenne signifie « mon père, mon père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » La cinquième parole nous fait avancer un peu plus vers la conclusion. Sitio, « j’ai soif », nous entraîne vers un épisode cruel de la passion, celui au cours duquel les soldats romains étanchent la soif de Jésus en lui tendant au bout d’une branche d’hysope, une éponge imbibée de vinaigre (Jean, XXIX-19).
La sixième parole Consummatum est se passe de commentaires puisque le titre nous indique la fin de la passion et la mort du Christ en croix. La septième, d’une grande inspiration, nous éveille à l’espoir avec Pater, in manus tuas, « Père me voici entre tes mains ». Magnifique moment d’apaisement, cette ultime parole cause une profonde émotion et oblige le public à respecter un long moment de silence. D’ailleurs, il faudra presque un signal de Gildas Pungier pour que des applaudissements nourris et mérités fassent résonner les voûtes de la cathédrale. Quelques touristes en mal de visites et qui s’étaient «égarés» au fond de la cathédrale n’en croyaient pas leurs oreilles. Devant tant de beauté, même les plus rebelles (*) en restèrent cois et admiratifs… tout comme nous !
Dimanche 9 avril l’ensemble Mélisme(s) (Avec la Maîtrise de la Cathédrale de Rennes) a donné une représentation du programme Les sept paroles du Christ en Croix à la Cathédrale de Rennes
Cette œuvre a également fait l’objet du troisième enregistrement du chœur Mélisme(s) en 2013 chez Skarbo, extraits en écoute ici.
* NDLR : En effet, l’artiste américain King Dude (en concert la veille au soir au toujours déroutant bar Le Terminus) avait tenu à visiter, au cours d’une journée libre durant sa tournée européenne, la cathédrale et à assister au concert…