« Industry Plant », c’est l’étiquette qu’on colle d’ordinaire pour dénigrer, pour suggérer qu’une artiste ne doit pas son ascension à son talent mais à un plan de com. Miki fait l’inverse.
Elle prend le mot, le retourne, le transforme en manifeste. Ce disque n’a rien d’un produit préfabriqué. C’est au contraire un journal ouvert, parfois cru, parfois enfantin, souvent bouleversant, où une jeune femme de 26 ans raconte sa construction affective dans un monde saturé de regards, de réseaux et d’injonctions.
La première chose qui frappe à l’écoute est la forme. Miki ne se contente pas d’empiler des chansons. Elle mélange rap, chant pop, interludes qui ressemblent à des captures d’écran de SMS, micro-dialogues. Tout donne la sensation d’une discussion à la fois intime et publique. On entre dans ses conversations amoureuses. On entend ses doutes. On perçoit la pulsation d’une vie qui ne se déroule pas de manière linéaire. Cette structure fragmentée épouse parfaitement l’époque. On vit par morceaux. On aime par messages. On se confie par vocaux. Miki fait de cette matière quotidienne un matériau musical.
Ce qui désarme, c’est le niveau d’exposition. Miki ne masque pas ses failles. Elle parle de sexe, de fantasmes, de situations bancales, de partenaires toxiques. Elle le fait sans vulgarité gratuite. Elle le fait avec cette langue un peu rieuse, un peu malicieuse, qui lui permet d’éviter le pathos. Dans « Cartoon Sex » ou « Hajima », les images sont parfois poisseuses, les souvenirs font mal, on sent les traces de relations qui ont dépassé les limites. Pourtant la voix reste claire. Elle raconte. Elle ne se justifie pas. Cette façon d’assumer le désir comme la blessure installe d’emblée une posture rare dans la pop francophone.
La voix de Miki garde des restes d’innocence. Elle a ce côté espiègle, presque kawaii, que renforcent certaines mélodies en ronde enfantine. Sauf que le propos, lui, n’est pas enfantin. Dans « Roger Rabbit », le décalage est même violent. Sous l’apparence d’un petit tour de manège, elle évoque les dérives de messieurs aux tendances pédocriminelles. C’est cette collision qui donne à l’album son énergie. Miki sait que l’on attend d’elle un personnage de pop légère. Elle répond avec une pop légère en surface mais dont les paroles creusent. Elle maîtrise parfaitement ce double niveau.
Plusieurs titres évoquent la famille, les absences, les incompréhensions. « Switch Switch » ou « Poly-pocket » laissent entendre que le socle n’a pas toujours été stable. Au lieu de s’y engluer, Miki en fait des chansons agiles. Elle ne nie pas la douleur. Elle la transforme. On retrouve là ce que la presse a tout de suite repéré. Une écriture faussement minimaliste. Des phrases courtes. Des images directes. Mais derrière cette simplicité se cache un vrai sens du récit. Elle sait quand changer de point de vue. Elle sait quand faire intervenir une voix, un effet, un rire.
Appeler son disque « Industry Plant » est une manière élégante de répondre aux commentaires. On l’a dit propulsée trop vite. On l’a dit construite. On l’a dite aidée. Miki ne nie pas qu’elle ait une identité visuelle forte, un entourage, un label. Elle dit simplement que cela n’empêche pas la vérité du vécu. La preuve tient dans l’émotion très directe qui traverse l’album. On ne fabrique pas ainsi des aveux sur les abus. On ne bricole pas une telle façon de mêler langue adolescente, références pop et souvenirs traumatiques. On est soit dedans, soit dehors. Miki est dedans.
Musicalement, le disque se place sur une ligne très contemporaine. Basses rondes. Percussions souples. Synthés qui laissent de l’air à la voix. Rien de saturé. Cela permet aux mots de rester devant. La production garde un éclat électronique mais n’écrase pas l’interprétation. On sent aussi l’influence des formats courts. Certains refrains sont taillés pour circuler sur les réseaux. Cela ne veut pas dire que l’album se contente de suivre les tendances. On y trouve au contraire plusieurs saillies un peu bizarres, des passages presque alien, qui rappellent que Miki veut garder sa part d’étrangeté.
La trajectoire de Miki apporte en outre un vent neuf à la pop francophone. Son imaginaire ne se limite pas à la chanson française classique. On entend des résonances d’esthétique K, de culture web, de mode, de jeux de rôle numériques. Elle assume ces influences. Elle les combine à une sensibilité très européenne. Ce métissage nourrit son écriture. Il explique aussi sa faculté à parler à plusieurs publics à la fois. Les ados y trouveront une parole décomplexée. Les trentenaires y entendront un travail de réparation. Les médias y verront une artiste qui sait déjà se raconter.