Recueillant de nombreux témoignages inédits, l’autrice coréenne Keum Suk Gendry-Kim livre un portrait politique du dictateur nord coréen. Une manière de conjurer ses angoisses et de souhaiter une improbable réunification.
Son portrait figure en couverture. Seul et imposant. Vous donne t’il envie de faire connaissance ? Encore plus d’en faire un ami, comme le suggère le titre de l’ouvrage ? Pas certain, car vous avez sans doute reconnu le visage souriant, avenant et amical du chef de la Corée du Nord : Kim Jong-un, celui qui prit les rênes de son pays en 2011 à trente ans environ (selon l’année de naissance incertaine), succédant à son père Kim Jong-Il. Faisant, selon les circonstances, rire avec sa silhouette d’enfant trop bien nourri ou peur avec ses trente ogives nucléaires, il est omniprésent dans la géopolitique du siècle.

Rire ce n’est certainement pas la réaction de l’autrice qui habite le plus souvent sur l’Ile de Ganghwa avec son mari français à la frontière des deux pays et dont les journées sont ponctuées de tirs militaires. Effrayée au quotidien, envisageant le pire elle cherche dans cet ouvrage imposant à cerner la réalité du dictateur capable à lui seul de déclencher une guerre nucléaire.
La vie de Keum Suk est ainsi inséparable de l’histoire de son pays, la Corée, qu’elle n’arrive jamais à distinguer en y ajoutant « du Sud ». Dès le plus jeune âge, elle est née en 1971, elle baigne dans un anticommunisme primaire qui n’a d’égal que le patriotisme débordant enseigné à l’école notamment. Baignée dans ce contexte culturel et politique, elle dit, dessine ses peurs, tout au long des pages qui montrent les rêves, mais aussi et surtout les cauchemars, comme si les « Boum » « Boum » militaires entendus à longueur de journées assuraient la bande son de la BD.

Contrairement à Guy Delisle qui dans Pyongyang racontait surtout la vie quotidienne des Nord-coréens, l’autrice cette fois-ci s’attache surtout à dresser un portrait du chef d’Etat. Pour cela, fidèle à sa méthode habituelle, mêlant expérience personnelle et enquête, elle rencontre de nombreuses personnes, célèbres ou anonymes, qui ont approché, le dictateur.
Une manière de se rassurer en mettant derrières les images symboliques un homme et un tempérament susceptibles de réflexion et d’humanité.
De l’espoir, on peut en déceler quand Keum Suk détricote les origines du chef d’Etat, de sa naissance à son éducation dans un établissement scolaire Suisse laissant espérer, en vain, l’acquisition des valeurs d’une culture européenne et démocratique. Amateur de basket, de cinéma, Kim Jong-un semble avoir oublié ces passions d’adolescent quand il retourne au pays et s’approche du pouvoir.


Chercheur, ami étudiant, homme d’affaires, transfuge nord coréenne vivant toujours dans l’inquiétude, racontent l’homme dont la personnalité apparait finalement peu par rapport à l’image trouble du chef d’état et de sa capacité à prendre des décisions gravissimes. Plus qu’à un portrait on assiste notamment lorsque l’autrice rencontre de manière décisive l’ancien président sud-coréen Moon Jae-in, en fonction de mai 2017 à mai 2022, à une tentative d’appréciation des chances de reprise du dialogue entre les deux Corées. La longue rencontre exceptionnelle est un véritable cours de géopolitique racontant les dessous du franchissement conjoint et symbolique de la frontière par les deux chefs d’état mais aussi la mauvaise décision de l’administration Trump d’exiger la dénucléarisation totale de la Corée du Nord au lieu de demander l’abandon du seul site de Yongbyon.
L’ouvrage donne ainsi le sentiment d’un balancement perpétuel entre optimisme et pessimisme. Pessimisme cynique à la lecture du témoignage d’une transfuge nord-coréenne, symbole de l’état d’esprit pragmatique dont la population doit faire preuve : « ce ne sont pas les forts qui survivent, mais ceux qui s’adaptent. Peu importe qui a tort ou raison. L’important c’est de survivre ». Optimisme dont font preuve nombre des personnes rencontrées par Keum Suk, chacune évoquant avec fatalisme un Carpe Diem de circonstance, une forme de « nous verrons bien ». A choisir le lecteur est plutôt pris du vertige communicatif de Keum Suk dessinant sa chute onirique dans un trou sans fond.
Mon ami Kim Jong-un de Keum Suk Gendry-Kim (textes et dessins), 288 pages, Futuropolis, 30 euros. Parution : 15 janvier 2025. Feuilleter
