OJHB, Orchestre des jeunes de Haute-Bretagne : Dan ar Braz fête ses 30 ans !
Et zut ! Nous avions prévu d’arriver à huit heures moins le quart du soir pour un concert à vingt heures, mais voilà qu’en réalité il commence à vingt heures trente. Il faudra prendre notre mal en patience et « poireauter » une demi-heure sur la place de la mairie en méditant sur les vertus de l’attention et de l’organisation. Curieusement, d’autres personnes semblent hanter l’endroit, silhouettes hâtives, la tête rentrée dans les épaules, comme si elles voulaient éviter le regard de ceux qui pourraient deviner leur inquiétude. Vêtus de noir, presque tous portent à la main un étui. Sur les marches de l’opéra, quelques jeunes filles dissimulent leur angoisse derrière des éclats de rire un peu bruyants, elles attendent l’heure du concert en torturant un ukulélé. Soudain de la bouche de l’une d’entre elles sort cette phrase un peu sibylline pour le monde des adultes : « Ce soir, on a intérêt à bien jouer sinon on va se faire défoncer ! »
Pas de problème : ce sont des « djeun’s ». Enfin, des jeunes musiciens de l’orchestre de haute Bretagne. Incroyable : ils ont l’air tout à fait normaux – si si ! Ils n’arborent pas ces grosses têtes totalement inaptes à la vie sociale, ce ne sont pas d’affreux binoclards dévorés d’acné, la plupart des jeunes filles sont jolies et les garçons assez « classe » ou, comme ils disent, « bogosse ». Cela dit, nous les connaissions déjà puisqu’ils avaient accompagné de façon magistrale la maîtrise de Bretagne lors de l’exécution de l’opéra de Hans Krassa « Brundibar » (voir notre article). Cette soirée allait donc être l’occasion de faire connaissance avec l’ensemble de guitares et le reste de la joyeuse troupe. C’est justement avec cet ensemble que commence le concert. « Milonga mafiosa » sera joué de façon un peu timide et, malgré l’importance du groupe, nous ne serons pas gênés par les décibels. « Golondrinas invernales », autrement dit Tourterelles d’hiver, marquera le réveil de la troupe et la fin des gorges serrées, c’est une musique charmante ou alternent danses enlevées et mouvements lents empreints de mélancolie. Avec Libertango, c’est Astor Piazzolla et son tango qui reprennent la main. On ne peut s’empêcher de penser à Guy Marchand et son Nestor Burma, dont cette musique est le générique. Là encore si l’exécution est très soignée, il manque un peu du côté canaille et provocant de cette danse des bas quartiers des villes d’Argentine. C’est à une ambiance orientale que nous invite le morceau suivant « Samarkande », l’arrivée des cordes apporte une dimension nouvelle et nous entraîne au rythme lent et régulier d’une caravane traversant le désert. « Take five » le très fameux titre de Paul Desmond arrangé par André Couasnon ouvrira à nouveau la porte des souvenirs et c’est cette fois le regretté Claude Nougarro qui resurgira dans beaucoup de mémoires.
Après cette suave mise en bouche, l’intégralité de l’orchestre prend place et avec son chef, Didier Roussel, à la trompette, nous interprète le « Tango » de Richard Galliano de manière efficace, faisant preuve par son excellente cohésion de qualités tout à fait convaincantes. Mais c’est sans doute avec la très belle Alborada del gracioso de Maurice Ravel que l’orchestre des jeunes de haute Bretagne impose un religieux silence et un moment de magnifique musique. Se combinent belles attaques, efficacité, sans perdre de vue les indispensables nuances consubstantielles à la musique Française. Malgré quelques approximations des premiers violons, les applaudissements nourris saluent cette rigoureuse interprétation.Chicago de John Kander nous plonge dans une ambiance digne des comédies musicales de Broadway et permet à l’excellent pupitre des percussions d’exprimer son talent. Un jeune xylophoniste ponctue avec humour ces mélodies en noir et blanc. Il reçoit en réponse les notes ironiques des trombones à coulisse et de la trompette (tchass !).
Dans la seconde partie du concert, l’ensemble de guitares et l’orchestre des jeunes de Bretagne iront à la rencontre du très fameux barde finistérien Dan Ar Braz afin d’explorer un registre plus « variété » que classique, mais qui nous vaudra pourtant quelques beaux moments émouvants. Même s’il mène la danse, Dan ar Braz aura la gentillesse de rester humble et de ne pas voler la vedette aux jeunes dont il est l’invité. La première chanson, par ailleurs charmante et poétique,
est un peu trop amplifiée et couvre les 80 exécutants, les techniciens y mettront bon ordre et « Delphine in the sky », le second morceau instrumental rétablira un nécessaire équilibre. « Green lands », le troisième résonne d’accents particulièrement celtiques. Pas de quoi s’étonner lorsque l’on sait que c’est le thème favori de « l’héritage des Celtes » dont le disque a été vendu à plus d’un million d’exemplaires. La page mélancolie sera rouverte avec l’intéressant arrangement à la guitare de « Avec le temps » de l’immense Léo Férré. Après l’ouverture des cuivres, Dan Ar Braz brode sur fond de guitares classiques une mélodie discrète et mélancolique ; c’est assez réussi, mais aussi un peu fade. Avec « je m’en vais demain » chanson écrite pour Carlos Nunez sur des paroles de Jean-Jacques Goldman, le concert retourne à des rythmes plus enlevés et chantants. Ce sera la même chose pour « Call to the dance » vigoureusement celtique. « Borders of salt » viendra clore ce périple breton avec ses notes douces comme pour nous apaiser avant l’inéluctable séparation.
Pour être franc Dan Ar Braz n’a pas totalement convaincu ; il n’y a pas de reproches objectifs à lui adresser, mais nous avions envie d’être entraînés dans un monde à la fois légendaire et océanique et nous sommes un peu restés sur notre faim. Mais c’est sans importance, on ne peut pas être toujours au top ! Les jeunes eux ont été une véritable source de satisfaction. Sous la direction de leur chef, Didier Roussel, ils ont donné le meilleur d’eux-mêmes avec générosité, souvent avec inspiration ; que ce soit ces deux clarinettistes sortis directement d’Hansel et Grettel, ce jeune violoncelliste aux lunettes cerclées de bleu, sérieux comme un notaire de province ou cette petite violoniste blonde et espiègle – tous nous ont charmés et même souvent impressionnés. C’est eux qui ont raison : on peut parfaitement vivre avec son temps et être un jeune comme tous les autres en aimant Mozart et Joey Starr (quoique le second n’est pas obligatoire). Explorons avec gourmandise le champ des possibles ! Ce à quoi nous souhaitons vraiment rendre hommage, c’est au travail et à l’engagement de tous ces jeunes musiciens et si quelquefois le choix de la musique peut s’avérer dur qu’ils restent persuadés que c’est un investissement intelligent. Le dernier mot que nous souhaitons leur adresser est simplement merci. Qu’ils s’appellent Zoé ou Zacharie, Sarah, Gwénaëlle, Yann ou Arthur, 80 jeunes musiciens, la semaine passée ont rendu, durant quelques heures, ce monde un peu plus beau.