Nouvel arrêt à : Le Mans, Sarthe, France. Le voyageur : Olivier Hodasava. Un voyageur virtuel. Il arpente quotidiennement les artères du monde de Google Street View. Quand l’image saisie devient le réel ultime de la fiction commune… Pour Unidivers, l’arpenteur – qui se fait un peu géomètre – avance à la façon d’un fildefériste sur une ligne (presque) imaginaire : le 48e parallèle Nord. La latitude sur laquelle est située la ville de Rennes.
Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d’abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie. (Céline, Voyage au bout de la nuit)
Retour en France. Et, une fois n’est pas coutume, dans une ville qui ne m’est pas inconnue. Une ville que j’ai déjà traversée, souvent, mais seulement en train. Cette ville, c’est Le Mans. Je ne m’y suis arrêté qu’une seule fois. En transit ; dix minutes à peine en ville dont je n’ai que très peu de souvenirs.
Le Mans est une ville que je peux affirmer ne connaître qu’au travers de vitres de TGV en route vers Laval (très souvent, pour des calages d’imprimerie), Rennes ou plus loin vers la Bretagne.
Je suis passé par là peut-être cinquante ou cent fois. J’ai toujours observé, attentif, le paysage urbain qui défilait, la plupart du temps au ralenti. Les rues parallèles aux voies constituent un paysage dont je peux m’estimer familier. Et pourtant, les empruntant, je découvre ce que je n’ai jamais vu jusque-là : l’espace en contrebas des voies, juste sous elles, invisible du train.
Du coup, j’ai une pensée pour un de mes professeurs d’université (il y a longtemps). Ce professeur, c’était Pierre Sansot, mort en mai 2005 et dont on doit, encore aujourd’hui me semble-t-il, de lire les ouvrages formateurs : Les Gens de peu, Du bon usage de la lenteur, Chemins au vent, L’art de voyager. Un enseignement qui lui paraissait fondamental d’inculquer à ses étudiants, c’était qu’il fallait toujours… d’emprunter le trottoir d’en face ! De fait, durant chaque trajet quotidien, nous avons tous des habitudes qu’on ne remarque même plus – on prend tel trottoir dans telle portion de rue puis on change de côté à tel feu, etc.
Il suffit d’en avoir conscience et de prendre, pour changer, le trottoir impair quand on a l’habitude d’emprunter le trottoir pair pour percevoir la ville sous un angle totalement différent. Et voilà. C’est un peu, je le réalise, ce que je fais aujourd’hui ; et je suis heureux que cette chronique soit l’occasion d’une forme d’hommage.