Les caprices de Marianne de Henri Sauguet ? Ce n’est sans doute pas une oeuvre très connue que présente en ce moment l’opéra de Rennes. Même si Henri Sauguet a réalisé plusieurs œuvres lyriques, la seule référence qui vient immédiatement à l’esprit du mélomane lambda est sans nul doute « Les forains », dont la musique un peu mélancolique est présente dans tous les esprits. Si cela ne vous est pas familier, reportez-vous au pied de la présente chronique et constatez…
Pour cette nouvelle soirée à l’opéra de Rennes, c’est une pièce d’Alfred de Musset retranscrite sous forme de livret par Jean-Pierre Grédy qui sera notre fil rouge. Opéra-comique en deux actes, « Les caprices de Marianne » furent créés en 1954 au festival d’Aix-en-Provence. Comment qualifier la musique d’Henry Sauguet ?
Elle ne rentre pas dans la catégorie des musiques qui incarne une des formes de l’élégance à la française comme Ravel ou Debussy. Elle est proche de Darius Milhaud ou d’autres musiciens du premier tiers du XXe siècle avec un côté un peu décalé puisqu’elle n’apparait que 10 à 20 ans plus tard. Au fond, pourquoi ne pas accorder à la musique de Sauguet sa propre personnalité ? Le contraire serait réitérer l’attitude de ses contemporains qui, faute de pouvoir le classer de manière formelle, l’avaient bien avant que le mot soit à la mode injustement « ringardisé ».
C’est près de 16 maisons d’opéra en France qui se sont regroupées pour nous offrir cette coproduction de très bonne qualité et rendre à ce grand musicien français un hommage largement mérité. Déjà bien rodé par de nombreux mois d’existence, ce spectacle fonctionne parfaitement, avec fluidité et cohérence.
Impossible de considérer séparément la mise en scène année 50 irréprochable de Oriol Tomas, les déroutants décors de Patricia Ruel, comme les costumes de Laurence Mongeaux ou – élément tout aussi essentiel – les lumières exceptionnelles d’Étienne Boucher. Tout est imbriqué et complémentaire. Tout concourt à donner une vision déformée, un peu surréaliste ; non un surréalisme à la André Breton mais plutôt celui d’un Antonio Gaudi où les proportions et les courbes détournées à l’envi nous font perdre le sens des réalités.
La dimension théâtrale est tout aussi essentielle. Un des auditeurs présent faisait justement remarquer que c’était un « théâtre chanté ». Cette perception est assez juste, et elle n’est pas sans conséquence. Par exemple, Marc Scoffoni (Octave) parait avoir trouvé, dans cette configuration, une dimension qui lui convient : il est plus à l’aise que dans des pièces de bel canto classiques et s’exprime de façon convaincante. Cela donne une idée du répertoire dans lequel il pourrait avantageusement évoluer. Cette remarque vaut pour les autres chanteurs. Ils sont à leur place et offrent la même image d’homogénéité que le reste de la production. Bien sûr, certains attirent un peu plus notre attention.
Cyrille Dubois, ténor lyrique léger, arrive auréolé d’un récent titre de « révélation artiste lyrique » aux victoires de la musique 2015. Aussi, sans dire que le public l’attendait au tournant, il avait du moins quelques exigences qui n’ont pas été déçues. Le jeune homme est digne de louanges. Aurélie Fargues, dans le rôle de Marianne, est plutôt convaincante ; mais un petit effort de diction éviterait au public de trop se reporter au bandeau lumineux situé au-dessus de la scène. Les paroles sont en français et ses capacités vocales, pas trop sollicitées dans cette œuvre, paraissent pleines de ressources que nous aimerions découvrir. Le couple Norman D. Patzke et Carl Ghazarossian, respectivement Claudio et Tibia, fonctionne comme une mécanique bien huilée. Ces deux chanteurs contribuent par leur excellente présence scénique à fixer l’attention sur le drame qui se déroule sous les yeux. Julie Robard-Gendre, aperçue il y a quelques jours dans « révisez vos classiques », interprète Hermia, Xin Wang, un aubergiste au-dessus de tout soupçon, et Guillaume Andrieux, dans une courte apparition, un chanteur de sérénade qui donne envie de le réentendre.
Cerise sur le gâteau, notre très apprécié local de l’étape, Jean-Vincent Blot, se livre à une véritable facétie en devenant pour l’occasion « la duègne ». Difficile de concevoir ce grand gaillard de près de 1,90m, habituellement barbu, habillé en femme et psalmodiant de sa voix de basse une unique réplique : ORA PRO NOBIS. Il nous aura fait bien rire.
Pour la dimension musicale, rien à redire : le jeune chef Gwénnolé Rufet entraine un orchestre de Bretagne tout à son affaire, incisif, et qui insuffle à la scène une belle énergie.
Beau spectacle, et il est un peu dommage que le public Rennais n’ait pas répondu suffisamment présent. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, ce sont les élèves de BTS de l’établissement Saint Jean-Baptiste de la Salle et ceux de seconde de l’établissement éponyme de Sainte-Anne d’Auray qui, délaissant le poulailler, ont pu profiter des charmes du premier balcon. C’est une juste récompense puisque ces jeunes gens, démontrant leur respect pour la musique et pour les lieux, avaient jugé bon de mettre cravates et nœuds papillon et brillaient par une élégance que bien des adultes auraient pu leur envier. Jeunes gens, chapeau bas !
Il vous reste encore deux soirées pour faire connaissance avec Henry Sauguet. Ne les ratez pas, l’excellence du travail qui a été fourni mérite vraiment toute votre attention.
Les caprices de Marianne, Opéra de Rennes, lundi 23, mercredi 25 et vendredi 27 mars à 20h, de 11 à 50 €
Opéra-comique en deux actes d’Henri SAUGUET
Livret de Jean-Pierre Grédy d’après la pièce d’Alfred de Musset (1954)
Editions Ricordi
PHOTOS : ROLAND LE MENN
DIRECTION MUSICALE GWENNOLÉ RUFET
MISE EN SCENE ORIOL TOMAS
DECORS PATRICIA RUEL
COSTUMES LAURENCE MONGEAU
LUMIERES ETIENNE BOUCHER
ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE BRETAGNE
MARIANNE AURELIE FARGUES
HERMIA JULIE ROBARD-GENDRE
OCTAVE MARC SCOFFONI
COELIO CYRILLE DUBOIS
CLAUDIO NORMAN D. PATZAKE
TIBIA CARL GHAZAROSSIAN
L’AUBERGISTE XIN WANG
LE CHANTEUR DE SERENADE GUILLAUME ANDRIEUX
LA DUEGNE JEAN-VINCENT BLOT