Attention : un événement de taille va se dérouler au TNB le samedi 25 avril ! L’Orchestre symphonique de Bretagne (OSB) proposera – en cette année 2015 où se multiplient les hommages rendus aux déportés et aux résistants de la Seconde Guerre mondiale – un programme musical mettant en avant des musiciens qui n’ont pas hésité à se dresser contre la machine de destruction nazie. Un concert exceptionnel en perspective !
Dés 18h30, en entrée libre, débutera Brundibar, opéra pour enfants de Hans Krasa ; le rôle-titre sera tenu par Richard Dubelski. À 20h, le programme de la soirée réunira des noms prestigieux tels que le tchèque Pavel Haas, Francis Poulenc, Kurt Weill, Erwin schulhof… La symphonie n°5 de Tchaïkovski sera le point d’orgue de cette journée de célébration.
Si l’on excepte le cas de Tchaïkowski, d’un autre temps, tous ces musiciens ont en commun d’avoir à souffrir du nazisme et de l’antisémitisme. Plusieurs en sont morts, mais ce qui les réunit tous est d’avoir développé une activité créatrice qui s’oppose essentiellement à l’horreur des camps.
Par cette implication, l’OSB démontre que son travail n’est nullement un luxe culturel réservé à une élite avertie, mais participe au souffle de la liberté créatrice. Au travers de sa collaboration avec l’Opéra de Rennes notamment, son projet vise à offrir au plus grand nombre la possibilité de connaître et de goûter la musique classique et moderne. De fait, un orchestre, par ses choix artistiques, est susceptible de devenir une entité engagée qui affirme ses convictions par ses prises de position. Cet esprit de nécessaire indépendance a poussé l’OSB à s’impliquer dans ces célébrations de la libération des camps.
Ne portons pas un regard empreint de tristesse – ce qui serait l’attitude la plus spontanée –, mais plutôt de reconnaissance et d’admiration. Mettons-nous un instant à la place de ces êtres sensibles et musiciens qui étaient obligés d’offrir à leurs geôliers des spectacles ou des concerts. Des moments qui permettaient à ces musiciens affamés de s’évader au nez et à la barbe de la soldatesque. Pensons à ces enfants du camp de Therezienstadt chantant l’œuvre qui sera présentée au public rennais, l’opéra « Brundibar ». Par la musique, ils se sont évadés 55 fois dans le monde des rêves de l’enfance dont leurs tortionnaires les avaient privés. 55 représentations avant d’être conduits dans les chambres à gaz d’Auschwitz, tout comme l’auteur de cette œuvre, le tchèque Hans Krasa. L’histoire de Brundibar, littéralement « le bourdon », est celle d’un méchant joueur d’orgue de barbarie inspiré par Hitler lui-même. Quel divertissant pied de nez adressé à l’auditoire choisi de SS et de dignitaires nazis !
Afin que l’expression « devoir de mémoire » garde tout son sens, ce sont des enfants de Rennes qui chanteront cette œuvre. Les chœurs de la maîtrise de Bretagne accompagnés par les musiciens de l’orchestre des jeunes de haute Bretagne : des enfants de 12 ans pour les plus jeunes instrumentistes et des chanteurs du même âge pour les choristes. À peine plus âgés que les martyrs de Theresienstadt dont la seule faute était d’être juifs.
C’est avec l’Étude pour orchestre à cordes de Pavel Haas que débutera la manifestation. Musicien exigeant, il n’accordera le titre d’opus qu’à 18 des 50 œuvres qu’il a composées durant ses 20 années de carrière. C’est dans les mélodies de sa terre natale qu’il puisa son inspiration. La palette de ses créations s’étend de la musique de film à l’opéra. Déporté aussi à Theresienstad, il y composera 8 œuvres, dont « les quatre lieder sur des poésies chinoises » avant d’être envoyé à Auschwitz ou il sera gazé le jour de son arrivée.
Francis Poulenc et les « cinq poèmes de Max Jacob » nous ramènent en Bretagne, plus précisément à Quimper. Max Jacob y naquit en 1876. Converti au catholicisme en 1915, cela ne le sauvera pas de l’arrestation le 24 février 44. Interné au camp de Drancy, le poète n’y survivra pas plus de deux semaines et s’éteindra d’épuisement le 5 mars à l’âge de 67 ans. Francis Poulenc fit œuvre de résistance d’une manière facétieuse, mais risquée en créant à l’opéra de Paris en 1942 son ballet « les animaux modèles » dans lequel il avait inséré l’air populaire de « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine ». Les nombreux officiers allemands présents n’y virent que du feu…
Puisque l’on parle de facétieux, Kurt Weill, avec un extrait de son fameux Opéra de quat’sous est tout à fait à sa place tant il incarne une résistance moqueuse et audacieuse. Sa musique déchaîne la haine des nazis qui inventent pour elle le qualificatif de « juifienne ». En 1933, lors de la prise de pouvoir, ses partitions subissent un véritable autodafé : elles sont brûlées en public. La France ne lui réserve pas toujours un accueil plus amical puisque le journaliste Lucien Rebatet se déchaîne dans les colonnes du journal antisémite Je suis partout contre celui qu’il appelle « le virus judéo-allemand ». Avec une grande liberté d’esprit, Weill s’en moque et part pour les États-Unis où il s’engage dans l’organisation « Fight for freedom » et produit des œuvres de résistance comme « We will never die ».
L’œuvre suivante, le double concerto pour flûte piano et orchestre d’Erwin Schulhoff, mettra en scène Michal Tal « étoile israélienne du piano » et un membre très apprécié de l’OSB, le flûtiste Eric Bescond. Schuloff est véritablement une cible idéale pour les nazis, juif, homosexuel, socialiste et avant-gardiste, il cristallise tout ce qui les exaspère et déchaîne leur haine. Déporté à Wulzburg, il continuera pourtant à composer. On se souviendra particulièrement de sa huitième symphonie, dédiée à ses codétenus massacrés. Il n’en connaîtra pas la fin. À son tour, il meurt d’épuisement le 18 août 1942. Retrouvée, elle sera publiée grâce au travail du musicologue italien Francesco Lottoro.
Le bouquet final sera la cinquième symphonie de Piotr Ilich Tchaïkovski. Il représente un symbole particulier de courage, tout à fait en adéquation avec l’esprit du concert. Cette œuvre fut jouée par l’orchestre de la radio de Leningrad et diffusée à Londres le 20 octobre 1941. Alors que le chef d’orchestre entamait le second mouvement, les obus commencèrent à tomber sur la ville ; pas un musicien n’arrêta de jouer et l’œuvre fut exécutée jusqu’à la dernière note.
C’est ce courage exceptionnel et cette magnifique résistance à la barbarie et à l’obscurantisme qui seront célébrés à Rennes le 25 avril. Oserais-je dis que c’est quasiment un devoir de répondre à cet appel ? Oui, il est bon en nos temps troublés de se rappeler à quel point la liberté qui est aujourd’hui la nôtre a été payée au prix fort par de simples musiciens exemplaires d’abnégation et de grandeur.
On pourrait en conclusion pasticher le fameux poème de Paul Eluard ou, à tout le moins, y ajouter une strophe qui y a toute sa place :
« Avec des notes de musique, Liberté j’écris ton nom. »
Samedi 25 avril 2015 : Espoir et Résistance de 18h30 à 19h30 et de 20h à 22h par l’OSB au TNB Rennes
Avant concert :
Hans Krasa, Brundibar
Concert :
Pavel Haas, Étude pour orchestre à cordes
Francis Poulenc, Cinq Poèmes de Max Jacob
Kurt Weill, Opéra de Quat’ Sous, suite pour petit orchestre
Erwin Schulhoff, Double concerto pour flûte, piano et orchestre
Piotr Illyitch Tchaïkovski, Symphonie n°5, op.64
Orchestre symphonique de Bretagne
Direction : Aurélien Azan Zielinski
Piano : Michal Tal
Flûte : Eric Bescond
Soprano : Amira Selim