Ouessant cartographié : de l’île oubliée à l’île rêvée

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Ouessant île carte livre

Un territoire que les cartes font réapparaître. Voilà la promesse tenue par l’exposition L’île à la carte – Ouessant disparu, Ouessant imaginé, présentée jusqu’au 2 novembre 2025 au phare du Stiff. Portée par l’association Ar(t) Stiff, sous le commissariat du cartographe Laurent Gontier, cette plongée géohistorique redonne corps à un passé englouti, entre mémoire militaire, paysages fantômes et utopies d’ingénieurs. Le magnifique catalogue qui l’accompagne, publié par Les Îliennes, constitue une somme érudite et sensible sur les représentations d’Ouessant depuis le XVIIe siècle.

Dès les premières pages du livre, une intuition forte : une carte n’est jamais neutre. Elle est l’empreinte d’une époque, d’un pouvoir, d’une intention. À travers une riche sélection de documents issus du Service historique de la Défense, de la BnF, du SHOM et des archives départementales, l’exposition donne à voir Ouessant tel que l’ont vu ingénieurs militaires, pilotes de marine, géomètres ou rêveurs du cadastre.

Des cartes de Vauban (1685) aux relevés du Génie au XIXe siècle, un autre Ouessant apparaît : une île militaire, stratégique, défendue, projetée. Une île quadrillée de batteries côtières, de forts jamais construits, de digues abandonnées, de chapelles disparues. Une île vue d’en haut, mais aussi traversée par l’imaginaire.

Ouessant île carte

Le projet puise dans l’histoire une matière à fiction : et si toutes les fortifications avaient été bâties ? Et si le village du sommet de Saint-Michel n’avait pas été rasé en 1861 pour laisser place à un réduit militaire ? Et si un canal avait effectivement traversé l’île d’est en ouest, comme le suggéraient certains relevés ?

Laurent Gontier fait dialoguer les cartes entre elles pour faire surgir une topographie alternative : celle des intentions oubliées. En révélant les couches successives de projets abandonnés, il restitue un Ouessant qui aurait pu être. Cette reconstitution spéculative, rigoureuse et poétique à la fois, culmine avec les restitutions 3D du fort de Saint-Michel ou du projet du phare du Créac’h.

Ouessant île carte

Le catalogue de l’exposition n’est pas un simple guide commenté. Il est aussi le journal de bord d’une enquête menée pendant plus de dix ans par son auteur. Gontier y raconte ses résidences sur l’île, ses découvertes dans les soupentes de la mairie, son dialogue avec les Ouessantins et les collégiens, ses allers-retours entre cadastre napoléonien et friches contemporaines.

Ce tissage entre récit personnel, étude de terrain et érudition historique donne au projet une densité rare. Il touche autant à la géographie qu’à la mémoire collective. L’île devient palimpseste, où affleurent encore, dans le relief, dans les noms de parcelles, dans une ruine oubliée, les traces du passé.

Au cœur du projet : une éthique de la transmission. Transmettre aux générations futures ce que les cartes nous enseignent. Leur beauté graphique. Leur rigueur technique. Leur pouvoir narratif. Mais aussi leur incomplétude – ce qu’elles taisent, ce qu’elles laissent à l’imagination du lecteur.

L’exposition se conclut par une section contemporaine qui interroge ce qu’il reste aujourd’hui de ces cartes : un mur effondré à Kernoas, une croix sur une chapelle disparue, un relief incongru au détour d’un sentier. La carte ne fige pas l’espace : elle le prolonge. Elle donne envie de marcher, de chercher, de voir autrement.

kernoas ouessant

« L’œil attentif et averti parvient encore à repérer, les rares traces des anciennes batteries à travers l’île. Le vestige le plus spectaculaire se situe à Kernoas, à l’entrée de la presqu’île de Penn Arland. Sous l’herbe, les talus et fossés destinés à faire rempart pour les canons conservent des reliefs bien marqués, formant un triangle dont les flancs couvrent les axes d’approche possibles de l’ennemi. Sa forme, bien visible sur le cadastre napoléonien, intrigue. En particulier les deux arcs de cercle à l’est où certains croient voir la base des tours de l’ancien château d’Ouessant.

carte ouessant

Publié en juin 2025, le livre-catalogue L’île à la carte – Ouessant disparu, Ouessant imaginé (ISBN 978-2-494215-04-7) s’impose comme un objet d’art et de connaissance. Richement illustré, doté d’une cartographie inédite, il est un outil précieux pour les passionnés d’histoire insulaire, les chercheurs, les enseignants, mais aussi pour tous les amoureux d’Ouessant.

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Infos pratiques

  • Exposition : L’île à la carte – Ouessant disparu, Ouessant imaginé
  • Lieu : Phare du Stiff, Île d’Ouessant
  • Dates : Du 28 avril au 2 novembre 2025
  • Commissaire : Laurent Gontier
  • Organisé par : Association Ar(t) Stiff
  • Partenaires : SHD, BnF, SHOM, Archives du Finistère
  • Le catalogue
  • L’île à la carte. Ouessant disparu, Ouessant imaginé
  • Directeur d’ouvrage : Laurent Gontier
  • Auteurs : Laurent Gontier, Eva Guillorel, Xavier Laubie 80 pages, prix : 25 €
  • 55 illustrations
  • Format : 24 x 28,5 cm
  • ISBN : 978-2-494215-04-7
  • Éditions Les îliennes, mai 2025