N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures de Paola Pigani, En temps de guerre, les Manouches sont dangereux

 Autour du feu, les hommes du clan ont le regard sombre en ce printemps 1940. Un décret interdit la libre circulation des nomades et les roulottes sont à l’arrêt. En temps de guerre, les Manouches sont considérés comme dangereux. D’ailleurs, la Kommandantur d’Angoulême va bientôt exiger que tous ceux de Charente soient rassemblés dans le camp des Alliers. Alba y entre avec les siens dans l’insouciance de l’enfance. À quatorze ans, elle est loin d’imaginer qu’elle passera là six longues années, rythmées par l’appel du matin, la soupe bleue à force d’être claire, le retour des hommes après leur journée de travail… C’est dans ce temps suspendu, loin des forêts et des chevaux, qu’elle deviendra femme au milieu de la folie des hommes. N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, dit le proverbe: on n’entre pas impunément chez les Tsiganes, ni dans leur présent ni dans leur mémoire… Mais c’est d’un pas léger que Paola Pigani y pénètre. Et d’une voix libre et juste, elle fait revivre leur parole, leur douleur et leur fierté.

paola piganiPremier printemps après le début de la Seconde Guerre mondiale, un texte de loi interdit à la population tzigane le droit de se déplacer. Les roulottes sont au parking et les gitans surveillés comme le lait sur le feu. Cette population est si dangereuse que le préfet des Charentes va les parquer dans d’autres camps de la honte. Une sorte de mode de l’époque. Au milieu de ce rassemblement de la honte se trouvent Alba et les siens. Elle a quatorze et n’est plus totalement un enfant, mais demeure pourtant si innocente, insouciante et fraiche. Elle ne se doute même pas que son apprentissage vers l’âge adulte va se faire plus vite que prévu grâce et à cause des 6 années qu’elle va vivre dans ce campement. C’est au milieu du pire et parfois du meilleur qu’elle va devenir femme. La folie, la terreur, l’horreur et bien d’autres sentiments lui servant alors de compagnon de voyage.

Cet ouvrage est le premier roman de Paola Pigani. Jusqu’à présent, elle s’était fait remarquer par des nouvelles et des poèmes de bonne facture. Ce qui ne va pas sans influencer son style. Poésie et broderie se conjuguent pour ciseler chaque phrase en un cheminement vers la grâce. Les mots se marient dans des phrases – fines, toniques et douces – pleines de tout. Le lecteur connaitra alors deux voies : une complète non-adhésion ou une plongée dans une narration chargée d’émotion grandissante au fil de l’écoulement des chapitres. Les décors et situations sont si brillamment décrits que le lecteur devient l’hôte d’une série de tableaux. Entre eux cheminent des personnages bien campés.

Il faut rappeler que c’est à un morceau d’histoire que le lecteur assiste. N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures s’inspire de faits réels qu’il ne faudrait pas oublier. La force de ces hommes et de ces femmes injustement humiliés et torturés est à rappeler, notamment dans ce temps de crise où notre société fait montre de son côté le plus dure.

Et comme ce roman est composé, un troisième versant peut être souligné. La découverte d’un peuple si souvent raillé. Outre que tous les gitans du monde ne sont pas des détrousseurs de touristes, l’âme de ce peuple est riche d’un regard différent sur le monde. La sagesse occidentale mériterait de s’en inspirer. Avant qu’elle ne s’épuise.

David Norgeot

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N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures de Paola Pigani, Liana Levi, 22 août 2013, 224 pages, 17,50 €
Et pour en lire un extrait…

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