Oxygène est une revue de société fondée par la graphiste lorientaise Marion Bailly-Salin et la Ligue de l’enseignement du Morbihan, en partenariat avec le SPIP 56 et l’administration pénitentiaire, au cœur du centre de détention de Lorient Plœmeur. Dans le cadre d’un projet collaboratif, notre rédaction ouvre les colonnes d’Unidivers aux détenus, rédacteurs et illustrateurs qui participent à l’atelier Oxygène. L’enjeu : chaque détenu a été invité à se questionner sur l’impact qu’a pu avoir un contenu médiatique ou culturel sur sa vision du monde et ses certitudes. Les réflexions partagées de Nobel* prennent leur source dans la lecture d’un article à propos de la colopathie fonctionnelle. Des paroles illustrées par S.F.*.
Il a fallu que je sois enfermé, que ma santé et ma dignité soient questionnées, pour enfin comprendre en une journée, ce qui avait influencé pendant presque 15 ans mes convictions et ma façon de vivre ma vie personnelle et professionnelle.
« Ab imo Pectore » (du fond du cœur) – Du plus profond du cœur et en toute franchise, je partage aujourd’hui une expérience de vie qui parlera à certains d’entre vous et pas à d’autres à l’esprit encore trop conditionné – comme je l’ai été – qui préféreront rester dans leur réalité, certainement plus pratique, plus stimulante, pas complètement fausse, pas tout à fait vraie non plus.
Ma vie a été une suite de vies intenses mais meurtries par des jalousies, des incompréhensions, des trahisons et des injustices, où ma façon de les vivre – par naïveté, croyances, certitudes et passions – m’a conduit derrière ces murs aux multiples peines.
J’ai compris par la douleur et l’enfermement, que ce droit pourtant légitime de pouvoir agir ou m’exprimer selon mes convictions, cette liberté de choisir, de donner, de partager, quelque soit sa forme, ne pouvait pas durer dans ce monde trop ambigu, au système souvent trop tordu.
Une liberté que je me suis autorisée, que d’autres m’ont donné pour ma créativité, pour les apparences, et qui m’a permis de mieux supporter les symptômes douloureux d’une affection – passée sous silence par une tumeur certes bénigne, mais assez maligne pour m’avoir confinée pendant des années où chaque jour suffisait à sa peine.
Une prison commencée à l’extérieur, construite malgré moi, peine par peine, sans violence, sans méfiance, avec amour et confiance.
C’est l’histoire d’un homme qui pensait bien faire, qui voulait bien faire mais pour certains s’en était trop, tout cela devait sonner faux.
Tout s’est réveillé derrière ces murs, avec cet article médical publié sur le site Notre temps en octobre 2020 : Question diététique : quelle alimentation en cas de colopathie fonctionnelle ?, de Florence Dain, diététicienne, nutritionniste et journaliste
J’ai compris en un instant « comme cette bombe qu’on ne voit pas venir, mais qui dévaste tout » (pensées pour l’Ukraine), ce qui avait implicitement orienté et nourri mes choix, mes croyances, mes multiples passions et projets.
J’ai appris en un instant les origines plus conventionnelles de tous ces maux et douleurs. Un prise de conscience d’un passé sous influence, soigné à coups de « pinceaux » sur un ordinateur et autres techniques non-conventionnelles que je ne peux qu’assumer.
C’est derrière ces murs que j’ai pu commencer ce qui ne pouvait plus être fait ou défait dans cet extérieur. C’est derrière cette autre réalité – pas la pire, pas la meilleure non plus, celle qui force jusque dans la chair à se réveiller ou à s’abandonner. Ici pas de choix multiples, pas d’excuses ou de place à la procrastination. Je pouvais, depuis cet article médical, enfin éclairer ce qui avait été occulté par cette tumeur et ces douleurs qui m’avaient poussées vers des extrêmes sublimés.
C’est dans cet enfer carcéral que je dois maintenant me reconstruire, renaître parmi ces cendres damnées, ces restes de poussière d’étoiles tombées, comme moi. Je dois me relever, même si j’ai mal, car je sais comment apprivoiser ces maux et douleurs à l’extérieur et ne plus les laisser dominer mes choix, mes croyances et mes passions.
Des changements commencés à l’intérieur – pierre par pierre – avec une colère nécessaire pour préserver au mieux ma santé et ma dignité – du moins ce qu’il en reste. Me préparer à présent à réparer un futur, encore incertain, dans ce monde qui a trop pris l’habitude d’incriminer, plutôt que d’encourager un travail à l’intérieur de soi, là ou se trouve la véritable liberté. Un travail d’introspection qui m’a permis aussi de mieux comprendre à qui et à quoi tenaient mes comportements et mes erreurs.
« L’erreur est humaine ». Il faut savoir et décider de pardonner, pour retrouver la liberté et se délivrer des simulacres.
Pourquoi toujours condamner et enfermer le meilleur de vous-même, le meilleur d’eux-même, des êtres humains, comme vous, comme moi, pas tous coupables, pas tous innocents non plus, comme vous, comme moi.
Texte de Nobel, illustration de S.F.
*Les prénoms et noms de famille ont été changés.