Dans une nouvelle étape de l’affaire « Fañch », la Cour d’appel de Rennes vient de valider l’orthographe bretonne du prénom Fañch — avec tilde sur le « n » — en estimant que ce signe « n’est pas inconnu de la langue française ». Le prénom breton Fañch est bien officiellement autorisé par la justice française.
Pourquoi le tilde compte (et change la prononciation)
Fañch est l’hypocoristique breton de Frañsez (François). En breton, le digramme añ se prononce [ɑ̃ː] ou [ã], alors que an se prononce [ɑ̃n]. Ôter le tilde ne serait donc pas un simple détail graphique : cela altère le prénom, sa sonorité et son identité linguistique.
Ce que l’on sait
- Un enfant prénommé Fañch — prénom traditionnel breton — voit son orthographe contestée par le parquet, qui invoque l’absence du tilde (~) dans la circulaire de l’état civil du 23 juillet 2014, laquelle ne liste que certains signes diacritiques réputés « connus de la langue française ».
- La Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 19 novembre 2018, avait déjà jugé que l’usage du tilde « n’est pas inconnu de la langue française », et qu’admettre la graphie Fañch « ne porte pas atteinte au principe de rédaction des actes publics en langue française ni à l’article 2 de la Constitution ».
- Au cours de 2025, dans un dossier similaire – celui d’un autre enfant à Lorient – la Cour d’appel de Rennes vient une fois de plus de rendre une décision favorable au tilde, en validant formellement l’orthographe bretonne du prénom Fañch dans ce cas.
Le cadre juridique en bref
Attribution des prénoms (Code civil). Les parents choisissent librement les prénoms. Si un prénom paraît contraire à l’intérêt de l’enfant ou au droit des tiers, l’officier d’état civil saisit le procureur, qui peut saisir le juge aux affaires familiales.
Diacritiques et circulaires. L’instruction générale relative à l’état civil (1987, art. 106) rappelait que seuls points, accents et cédilles sont « utilisés dans notre langue » et écartait les signes « sans équivalent en français » (ex. tilde). La circulaire du 23 juillet 2014 dresse une liste limitative des signes admis (à, â, ä, é, è, ê, ë, ï, î, ô, ö, ù, û, ü, ÿ, ç) : le tilde n’y figure pas. D’où les contentieux récurrents.
Bloc de norme supérieure. L’article 2 de la Constitution (« La langue de la République est le français »), la loi du 4 août 1994 (dite Toubon) et des textes historiques (loi du 2 thermidor an II, arrêté du 24 prairial an XI) imposent le français dans les actes publics ; cela ne signifie pas que les prénoms doivent être « en français », mais que les actes les mentionnant sont rédigés en français.
Langues régionales. Depuis 2008, la Constitution reconnaît que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » (art. 75-1). La loi « Molac » (2021) a été partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, notamment sur l’autorisation générale des signes diacritiques régionaux dans l’état civil : le débat normatif reste donc ouvert.
Jurisprudence et doctrine : un assouplissement encadré
- Le raisonnement « Fañch » : un signe peut être admis s’il n’est pas inconnu de la langue française et s’il ne contrevient pas aux exigences de l’état civil (lisibilité, ordre public). Le tilde a franchi ce test.
- Trois critères implicites structurent les décisions et la pratique administrative : intelligibilité pour un lecteur francophone ; traçabilité dans les chaînes techniques (mairie → INSEE/RNIPP → titres d’identité, MRZ) ; enracinement culturel objectivable (patronymes, toponymes, littérature).
- Des limites probables : les signes peu familiers ou non latins (point médian « · », « ł », « ß », etc.) resteront litigieux tant que les systèmes et la doctrine ne sont pas alignés.
- Exemples utiles : l’apostrophe de Derc’hen a été acceptée par le parquet de Rennes (26 janvier 2018) au motif qu’elle n’est pas expressément interdite et relève d’un usage courant ; à l’inverse, l’accent aigu sur le « i » de Martí a été jugé refusables (CEDH, 2008, req. n° 27977/04), la Cour estimant légitime l’objectif d’unité linguistique dans les relations avec l’administration.
Ce qui change — et pourquoi c’est important
La décision confirme plusieurs évolutions importantes :
- Elle renforce le droit des parents à choisir un prénom dans sa graphie traditionnelle bretonne, signe d’identité linguistique et culturelle.
- Elle montre que la graphie des langues régionales — ici, le breton — peut trouver sa place dans les actes officiels sans modifier la loi à chaque signe. Au-delà d’un tilde, c’est la reconnaissance que les graphies régionales ne sont pas secondaires face aux règles administratives françaises.
Au-delà du tilde : vers un assouplissement encadré ?
La validation de « Fañch » n’ouvre pas un droit général à tous les signes. Elle installe un cadre d’argumentation et une tolérance jurisprudentielle : d’autres diacritiques latins attestés (notamment breton, occitan, catalan, basque) peuvent être admis s’ils répondent aux trois critères ci-dessus. Le mouvement sera graduel, tant que la circulaire de 2014 n’est pas mise à jour et que la chaîne administrative n’est pas pleinement alignée sur Unicode avec des règles de translittération stabilisées.
- Le verrou administratif et technique : sans réforme, chaque cas risque le contentieux. Une actualisation ministérielle (ou une clarification législative) permettrait de passer d’une « tolérance au cas par cas » à une liste positive élargie ou à un principe général assorti de critères.
L’arrêt rennais n’« ouvre » pas la langue française à tous les signes, mais élargit son périmètre de tolérance pour des formes graphiques latines enracinées. Un assouplissement réaliste, plus patrimonial que révolutionnaire. Le petit Fañch né en juin 2023 à Lorient va heureusement retrouver son tilde à l’état civil.
